Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
À KOLOMEA.

— Je les présenterai tout à l’heure. »

La baronne se glissa hors de la chambre et rentra aussitôt, traînant après elle une petite fille très-intimidée et un garçon farouche d’aspect, qui fixa sur son futur gouverneur ses yeux noirs, grands ouverts et pétillants de malice.

« Voici mon Isidora et mon Jasin, votre élève. Baisez la main de M. l’abbé, enfants ! »

Les petits obéirent, fort embarrassés. Le jeune homme les prit tendrement entre ses bras, les couvrit de caresses et se mit à faire sauter Jasin sur ses genoux. Bientôt chacun se sentit à l’aise. La baronne alluma un nouveau cigare, qu’elle fuma négligemment, tout en examinant son hôte.

C’était un véritable abbé polonais, de vingt ans au plus, qui venait de prononcer ses vœux. Mince, avec un beau visage, de beaux cheveux blonds, les joues roses comme celles d’un enfant, le nez petit, les yeux gris et profonds, les dents blanches et un léger duvet doré surmontant ses lèvres retroussées. Sa mise était fort élégante et de bon goût. Il avait de la distinction et je ne sais quel parfum aristocratique ; tout l’intéressait. Il babillait avec une ravissante volubilité, parlait de Lemberg, de littérature, du théâtre polonais, de la dernière pièce qu’on y avait représentée, Krakowiski i Garali[1]. Il tira de sa poche un roman français très en vogue ; il peignit chaque actrice, depuis ses nattes fausses jusqu’à la pointe de ses bottines, les caprices de chaque toilette.

« Oh ! que madame Nawakowska était belle dans Barbara Radzievill ! »

  1. Cracoviens et montagnards.