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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/259

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ALDONA.

Les chevaux s’épuisaient. Elle regarda en arrière. Les loups arrivaient en hordes sauvages.

Elle posa tranquillement son fouet, tira les pistolets de sa ceinture, et visa celui qui était à leur tête.

Alors — comme il se préparait à sauter sur elle — elle fit feu. Il y eut un éclair, un coup, et l’animal gigantesque se tordit dans son sang avec un râle horrible. Ses compagnons, rendus furieux par la faim, se jetèrent sur lui et le dévorèrent.

Dans la plus grande détresse, Aldona remarqua un bâtiment qui se profilait sur le ciel, baigné dans un rayon de lune. C’était un de ces hangars comme s’en construisent, l’été, les gardeurs de chevaux, afin d’y chercher refuge en temps d’orage ; ce fut vers ce but qu’Aldona dirigea sa course affolée.

L’horrible bande la serrait de près. Un nouvel instant de relâche était nécessaire. Elle fit appel à un moyen désespéré. D’un coup de revolver elle brûla la cervelle du plus faible de ses coursiers, et, à l’aide d’un poignard qui ne la quittait jamais, elle trancha les rênes.

Le pauvre animal s’affaissa, chercha à se relever, et retomba agonisant dans la neige. Il poussa un hennissement déchirant, et essaya de se mettre en garde contre les bêtes sanguinaires qui se pressaient autour de lui.

Lorsque Aldona lui jeta un dernier regard, elle sentit les larmes s’amasser sous ses paupières ; mais elle se trouvait dans un de ces moments où l’on ne songe et ne peut songer qu’à soi. Elle frappa violemment le cheval qui lui restait. Celui-ci boitait et n’avançait qu’avec peine.

Elle pensait échouer tout près du but. Derrière elle, la meute s’avançait, ardente, affamée. Les hurlements redoublaient. L’animal, glacé d’épouvante, à bout de forces, perdit pied.