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LE ROI DE POLOGNE.

vénérais comme une sainte ; mais elle, la jolie panthère, m’arracha le cœur et piétina dessus.

— Cette façon d’agir me paraît cadrer avec sa physionomie.

— Que vous dirai-je ? continua-t-il avec un soupir, tandis qu’il serrait la photographie sur sa poitrine. Vous l’avez deviné, cet ange était ma femme. Je la connus à l’âge de dix-sept ans, chez son oncle, le prince Lubowinski. Je l’aimai, car elle était belle et pure, et elle m’aima, car j’étais brave. Elle m’accepta, malgré mes années et mes blessures. Nous vivions dans l’union la plus touchante, lorsqu’un jour survint un jeune fat qui l’éblouit par son physique, la séduisit par ses belles phrases, et elle… elle se laissa enlever par lui. Je les poursuivis par toute l’Europe. À Nice, enfin, je les rattrapai. Je provoquai le séducteur, et je reçus, dans le duel, une balle en pleine poitrine, ce qui, actuellement encore, me cause de terribles embarras de respiration. Aujourd’hui, elle est grande dame, elle vit à Paris, où elle habite un palais, elle est fêtée partout, pendant que moi, je mène l’existence d’un pauvre hère. Hélas ! tel est le destin d’un vieux soldat, d’un patriote, d’un héros ! une vieillesse besoigneuse, et voilà tout.

— Mais votre famille ?

— Je vous ai déjà dit qu’elle tomba tout entière sous les coups des paysans, ces assassins de 1846. Je n’ai plus rien à aimer que mon pays, aussi lui ai-je sacrifié mon existence. Vous me comprenez, n’est-ce pas ?

— Ainsi, vous croyez au relèvement de la Pologne ?

— Si j’y crois ! »

Il aspira furieusement la fumée de sa pipe, puis sourit malicieusement, tout en me contemplant de son haut, ce