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PINTSCHEW ET MINTSCHEW.

Israélite plaisante et se laisse cajoler par un pareil Purez ? » commença-t-il d’un ton méprisant.

Et il cracha par terre.

Esterka resta debout, sur le seuil de la porte de chêne, entre les deux piliers où étaient accrochés des papiers jaunis, couverts de passages du Talmud. Elle baissa les yeux, prit une de ses tresses, la déroula sur son épaule et se mit à la tirailler.

« Eh bien ! pourquoi ne dites-vous rien maintenant ? continua Mintschew. D’habitude, votre langue fait dans votre bouche l’office d’un pendule.

— Vous avez raison, Mintschew, dit-elle enfin ; je mérite vos réprimandes. Vous pouvez me gronder. »

Mais il ne la gronda pas. Il la regarda longuement, et son regard était à la fois plein de reproches et rayonnant d’amour. Elle comprit ce regard, et elle rougit. Elle n’osa plus lever les yeux vers lui, et elle ne lui parla plus. Elle était comme clouée à sa place. Mais, lorsque au bout d’un instant le marchand de céréales sortit de la maison et remonta en voiture, elle jeta un coup d’œil rapide et embarrassé sur Mintschew. Il lui fit un signe amical de la tête. C’était la première fois depuis qu’ils se connaissaient.

Dès lors, Mintschew vint plus fréquemment à la taverne, sans amener de clients, sans son fouet et sans ses chevaux. Il s’asseyait dans la salle à boire et regardait Esterka vaquer à ses occupations. Lorsque Pintschew vit que Mintschew fréquentait la taverne, il s’habitua aussi à y venir naturellement. Les deux amis, assis devant la longue table peinte en vert, discutaient leurs questions bibliques, et Esterka, quand elle avait le temps, venait s’asseoir près d’eux et les écoutait, curieuse et légèrement émue.