Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
À KOLOMEA.

munie d’une bosse et de fausses dents. Cette union faisait de lui un homme opulent, un homme qu’on enviait, et qu’on saluait respectueusement. Il célébra ses noces avec un faste qui eût fait envie à un comte polonais, car les juifs de l’aristocratie ne restent en pareilles occasions jamais en arrière.

Le lendemain du mariage de Pintschew, Mintschew entra à la taverne de Blauweisz, sans autre but que celui de regarder Esterka avec ses nattes flottantes, ses yeux souriants et ses petits pieds serrés dans des pantoufles rouges.

Il trouva Kauniz Blauweisz faisant sa prière derrière le poêle. Celui-ci cligna légèrement de l’œil du côté de Mintschew et continua ses oraisons. Lorsqu’il les eut toutes marmottées, il s’avança vers Mintschew et lui dit avec la dignité d’un sultan :

« Mintschew, vous êtes un grand penseur !

— Vous me faites trop d’honneur, monsieur Blauweisz. »

Le pauvre cocher s’était levé et souriait discrètement.

« Vous avez cette nuit, par vos raisonnements, battu à plate couture le gendre de Markus Jolles ; oui, mon ami, vous l’avez complètement anéanti. »

Blauweisz souffla dans l’air et feignit de chercher la trace de son haleine. Mintschew sourit de nouveau.

« Vous êtes une des lumières du Talmud, continua le tavernier ; oui, vraiment ; oui… oui… ce serait pour moi un plaisir de vous avoir pour gendre. »

Mintschew, maintenant, ne souriait plus. Il était devenu pourpre, pourpre jusqu’aux oreilles ; les battements de son cœur s’arrêtèrent, et sa voix expira dans son gosier.

En ce moment, Esterka parut.