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Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/39

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PINTSCHEW ET MINTSCHEW.

« Voici ma fille, dit Blauweisz ; elle sera votre femme. »

Ce fut au tour d’Esterka de rougir. Elle regarda Mintschew, et Mintschew la contempla longuement.

« Allons, es-tu contente ? demanda Blauweisz.

— Je le suis, repartit Esterka d’une voix faible et les yeux baissés ; par conséquent, si M. Mintschew…

— Pourquoi n’accepterait-il pas ? tonna Blauweisz. Je te donne dix mille florins en beaux ducats tout neufs. »

C’est ainsi que le mariage fut conclu sans intermédiaires, sans diplomatie de vieilles commères. Blauweisz était un despote. Il aimait les coups d’État.

Les noces de Mintschew et d’Esterka furent célébrées avec un faste non moins grand que celles de Pintschew et de Rachel. Il n’eût tenu qu’à Blauweisz de surpasser Markus Jolles. Mais autant Blauweisz redoutait de paraître moins généreux que le marchand, autant il craignait de l’humilier et de le chagriner.

Une circonstance seule, de laquelle, il est vrai, Blauweisz était parfaitement innocent, rendit les deux noces quelque peu différentes. Mintschew ne passa pas la nuit à se disputer avec Pintschew ; il préféra rester auprès de sa jeune et jolie femme.

Jusqu’alors, Pintschew et Mintschew avaient été réguliers, laborieux et rangés ; on les donnait volontiers en exemple. À partir du moment où ils prirent femme, où l’opulence entra dans leur maison et où ils n’eurent plus à songer chaque jour à gagner leur vie, leur caractère changea complètement.

Ce n’est pas qu’ils devinrent des ivrognes, des paresseux ou des don Juan, car chez les juifs polonais les pères de famille débauchés sont aussi rares que les Messalines ;