Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
60
À KOLOMEA.

chasse. Midi était venu, le midi de la steppe, écrasant sous son calme et sa chaleur ardente. L’air paraissait ruisseler comme de l’or liquide. Le regard ébloui cherchait en vain une place sombre pour s’y poser. Les foins reluisaient comme de grandes vagues. Chaque brin d’herbe semblait une petite flamme. Dans l’air embrasé se croisaient des pétillements, des bruissements secs d’étincelles. Enfin, le bras d’un puits se dressa dans le ciel clair, puis une colonne de fumée. Le toit dépaillé d’une chaumière sortit du sol. On entendit aussi le ricanement fin d’une source.

« À qui appartient cette cabane ? demandai-je à mon paysan.

— À une veuve, » répondit-il en souriant malignement.

Les roues de notre chariot fauchaient en gémissant les hautes herbes. Un feu rouge flambait, près de la porte ouverte. Nos bœufs d’eux-mêmes firent halte. Une jeune femme sortit de la hutte. Elle avait les bras et les pieds nus. Ses épais cheveux noirs se tordaient en désordre sur sa nuque. Elle était vêtue d’une chemise brodée d’écarlate et d’un jupon fort court, de couleur bleue. Elle nous salua et nous dévisagea avec persistance de ses magnifiques yeux noirs. Son visage, délicatement modelé, était aussi brun que le sol qu’elle foulait.

C’est sûrement ainsi que la reine d’Égypte, ce beau serpent du Nil, se présenta devant Marc Antoine, quand celui-ci vint dans l’intention de lui ravir sa couronne, et que, pour l’en punir, elle fit de lui le plus humble de ses esclaves.

« Eh bien ! peux-tu nous donner quelque chose à manger, Éva ? demanda mon paysan.

— Je vais voir, » répondit-elle.