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RÉCITS GALLICIENS.

sorte de litanie funèbre dont le clapotement monotone rappelait le murmure d’un ruisseau qui vous endort par son bruit régulier, Reb Mauschel avait fermé les paupières et laissé tomber sa tête sur sa poitrine. Jossel surgit aussitôt ; il s’arme d’un bouchon noirci et dessine sur la face blafarde du dormeur une gigantesque paire de lunettes. La litanie terminée, l’écolier s’arrête, le maître s’éveille. Toute la classe rit sous cape. Reb Mauschel prononce un rappel à l’ordre, et passe à un autre élève qui lit, mais naturellement tout de travers. Le maître l’empoigne par le toupet, et l’impertinent galopin de crier : « Comment veut-on que je lise bien ? Je n’ai pas de lunettes comme Reb Mauschel, moi !

— Que dit-il, le petit monstre ? Où me voit-il des lunettes ?

— Sur le nez, » hurle toute la classe qui se tord de rire.

L’heure sonne à ce moment, la leçon est finie. Reb Mauschel ferme son livre avec bruit, lance aux enfants quelques paroles sévères, et sort. À peine est-il dans la rue que des passants le regardent stupéfaits. « Reb Mauschel a donc mal aux yeux, demande Salomon Pintscher Dirau, le boucher, qu’il a mis aujourd’hui de si grosses lunettes ? » Reb Mauschel l’a entendu, et comme précisément ses pieds rencontrent une flaque d’eau, il s’y mire et découvre l’odieuse plaisanterie. Il voit derrière lui toute l’école qui le suit en ricanant. Reb Mauschel prend Jossel au collet, et, après l’avoir rossé d’importance, l’expulse du collége.

La ville était alors habitée par le gouverneur du district, vrai Polonais détestant les juifs, « tous menteurs ». Ses fils, qui étudiaient au gymnase, étaient à la tête de toutes les manifestations dirigées contre les Hébreux, qu’on poursuivait à coups de pierres. Dès que l’un d’eux