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L’ENNEMI DES FEMMES

Le visiteur était l’instituteur de Lemberg, l’auteur de l’article incriminé. Il venait exprimer sa douleur, ses regrets, et, bien qu’il fût le père de onze enfants, il offrait de se dénoncer, de se faire juger à la place de Nadège.

Madame Ossokhine le consola, le rassura, et n’eut pas de peine à lui persuader que son sacrifice, meurtrier pour sa famille, serait absolument inutile à l’adversaire, choisi intentionnellement par le pouvoir.

— On me tient, lui dit-elle judicieusement ; on ne me lâchera pas. On feint de croire que je n’ai pas eu de correspondant et que c’est moi qui ai imaginé le récit que vous m’avez fait des douleurs du corps enseignant. Retournez auprès de votre femme et de vos enfants, mon ami. Ils ont besoin de vous, et vous me seriez nuisible. On m’en voudrait peut-être autant de ce que je me défendrais, bien qu’on affecte de m’en vouloir avant que j’aie essayé ma défense. La persécution qui me menace ne peut être ni bien longue, ni bien pénible. Vous, on vous accablerait ; pour moi, on mettra, vous le verrez, de l’ironie dans la vengeance, et si je le veux bien, je suis certaine qu’on affectera de me pardonner.

Ces raisons, données avec douceur et fermeté, s’ajoutaient à la voix des onze enfants du malheureux instituteur. Il se laissa persuader, se prosterna devant madame Ossokhine et partit confus, mais sans remords.

L’arrestation de Nadège fut le second acte du drame.