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L’ENNEMI DES FEMMES

populaires avec une aisance de grande dame, prête à tout souffrir pour ses idées, avec un sourire sans provocation, décidée à tout oser pour son honneur et son indépendance, sans se départir de sa dignité ; une pareille femme n’est également possible que dans ce pays, à la fois si vieux et si jeune, où tant d’aspirations, enfouies comme les vapeurs d’une terre puissante mal cultivée, s’exhalent de tant d’esprits ignorants, et produisent une nuée lumineuse quand elles sont traversées par une âme intelligente, savante et pure !

Dans un appartement d’une élégance sobre, mais réelle, Nadège Ossokhine avait installé le bureau de rédaction de son journal. À vrai dire elle était à peu près son seul rédacteur.

Sa vieille nourrice, une servante petite-russienne qui savait écrire assez bien pour écrire sous la dictée de sa maîtresse ; une vieille fille, grande et sèche, Panna Scharow, institutrice de l’école communale et remplissant l’office de secrétaire : tel était le personnel gravitant autour de la directrice du journal la Vérité.

Le titre eût paru prétentieux en France, et, pourtant, c’était une idée française qui avait inspiré Nadège. Elle prétendait avoir trouvé de cette façon le moyen de devenir journaliste, sans être infidèle au miroir.

Depuis bientôt deux mois, Nadège agitait et émerveillait le cercle. Les femmes avaient été un peu lentes à découvrir en elle une alliée qui leur faisait