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LA FEMME SÉPARÉE

— Mais, autant que je me rappelle, don Quichotte finit par se guérir de ses hallucinations et de ses rêves.

— Oh ! oui, répondit Julian avec son merveilleux sourire, mais comme chaque idéaliste, sur son lit de mort seulement ! De même que don Quichotte, avant sa mort, revient à la raison, regrette d’y revenir si tard, met ses affaires en ordre, institue — quelle ironie ! — Sancho Pança son légataire universel, et dit au notaire chargé d’écrire son testament « qu’il n’a jamais lu qu’un chevalier errant meure tranquille et chrétiennement, au milieu des larmes des siens », c’est ainsi que chaque idéaliste, à son agonie, reconnaît le néant du rêve qu’il a poursuivi, pour la réalisation duquel il a travaillé, et meurt en se moquant, trop tard, de ses illusions dorées.

Lorsque Julian en arriva là, je le vis, sans le vouloir, lui aussi, sur son lit de mort, avec son tranquille sourire. Mon cœur se serra, mes yeux se remplirent de larmes, et, tandis que je considérais son visage pâle, aux traits amaigris, et ses grands yeux tristement rêveurs, il me sembla que c’était lui, tout à fait lui, le chevalier à la triste figure, et je me rappelai à ce moment tout ce qu’Aaron et d’autres personnes m’avaient raconté sur le compte de Julian. Il était pauvre, comme don Quichotte, —