Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
99
LA PÊCHEUSE D’AMES.

forêt et parfois semblaient monter de l’abîme. Elle ne connaissait pas la crainte. On eût dit bien plutôt que son courage impassible se rendait peu à peu maître de la nature déchaînée. Les hurlements du vent se perdirent dans le lointain ; la neige cessa de tourbillonner ; à peine en tombait-il maintenant quelques flocons ; l’armée des étoiles étincela dans le ciel clair et paisible.

Cependant, de nouveaux ennemis approchaient. Dans les fourrés apparaissaient des lueurs errantes ; des yeux brillaient, une bande de loups s’élança.

Dragomira sentit son cheval trembler sous elle, mais elle resta calme. Elle s’avança avec sang-froid en suivant le milieu de la route et prit son revolver.

Déjà le premier loup sautait par-dessus le fossé.

Un éclair, une détonation… il roula dans la neige aux pieds de Dragomira. Elle cravacha vivement son cheval et partit au galop. Il s’écoula quelque temps avant que les loups ne la poursuivissent ; elle les vit dans le lointain accourir comme des chiens qui se réunissent pour chasser une noble bête. Elle avait déjà laissé derrière elle la forêt de sapins, et, faisant un long détour, elle traversait les plaines couvertes de neige pour revenir à Myschkow.

Les loups s’approchèrent de nouveau et firent entendre leurs rauques hurlements derrière les sabots de son cheval ; de nouveau elle fit feu de son revolver, une fois, deux fois, et prit de l’avance. Enfin, elle aperçut devant elle le toit de la maison couverte de neige, dont la blancheur apparaissait à travers les sombres peupliers dépouillés.

Les hurlements ne s’entendaient plus, les effrayantes formes s’évanouirent.

Cheval et écuyère reprenaient haleine. Dragomira laissait maintenant le superbe animal aller au pas, et lui tapait doucement sur le cou pour le caresser. La porte était encore ouverte. Elle entra dans la cour et sauta à terre. À son appel, le vieux cocher arriva et prit le cheval.

Quand Dragomira pénétra dans la maison, elle brillait comme un chérubin : la gelée avait saupoudré ses cheveux, son vêtement et sa fourrure de diamants étincelants qui, dans la chaude atmosphère de la chambre, se changèrent en gouttes d’argent et tombèrent lentement à terre. Maintenant elle se sentait bien ; elle jeta sa cravache sur un meuble et se débarrassa de ses vêtements humides. Fatiguée et échauffée par sa