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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/108

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

de langueur et de ruse tout à la fois. Il recommençait à l’entourer de ses bras ; alors, rapide comme l’éclair, elle tira un lacet de sa large manche, le lui jeta autour du cou et se releva d’un bond.

« Au nom du ciel !… s’écria Pikturno, vous m’étranglez ! »

Au même instant, les complices de la juive, Juri, Tabisch et Dschika, se précipitèrent dans la chambre ; et avant que le malheureux eût compris de quoi il s’agissait, ils l’avaient renversé par terre, lui avaient lié les mains et les jambes, et lui avaient introduit un bâillon dans la bouche.

Pikturno tourna vers Bassi des yeux suppliants ; elle lui répondit par un regard de froid mépris. Il fut enfermé dans un grand sac, puis jeté et solidement attaché sur le dos d’un cheval qui partit d’un trot rapide. Quand le bruit des pas se fut éloigné, Bassi ouvrit la porte.

« Êtes-vous prête, noble demoiselle ? demanda-t-elle.

— Oui.

— Avez-vous vu comme j’ai bien fait mon affaire ? Faites de même à présent.

— Tu le verras bien.

— Moi, non, reprit Bassi en secouant la tête, je ne peux pas voir de sang. Juri attend avec les chevaux ; il vous montrera la route. »

Dragomira mit rapidement ses gants de cheval et sortit, la cravache sous le bras. Juri s’inclina respectueusement devant elle et baisa le bord de sa robe. Tous deux sautèrent en selle et prirent la direction du bois.

Là, sur une colline dominant tout le pays, les compagnons de la juive attendaient dans un fourré avec leur victime. Ils avaient attaché Pikturno debout à un grand sapin, qui se dressait au milieu d’une petite clairière, et allumé un feu de broutilles autour duquel ils étaient silencieusement étendus.

Quand Dragomira arriva et sauta à bas de son cheval, Pikturno la regarda avec un profond étonnement. Ses traits lui étaient connus, mais son costume le trompait. Elle avait encore de hautes bottes d’hommes, mais elle portait aussi une robe de couleur sombre, une courte jaquette de fourrure et un bonnet de cosaque.

« Sommes-nous ici en sûreté ? demanda-t-elle.

— Tout à fait en sûreté, répondit Tabisch, un vieillard à taille de géant.

— Je dois faire, encore une tentative pour le convertir, dit