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XVIII

LES ROSES SE FANENT

Ravir le bonheur est facile, le rendre est difficile,
HERCER.

Deux jours se passèrent sans qu’Anitta donnât signe de vie à Zésim. Le deuxième soir, enveloppé dans son manteau, le jeune officier vint dans la rue où était le palais Oginski et regarda les fenêtres d’Anitta. Aucune lumière. Peut-être était-elle à l’Opéra. Une voiture de louage passait. Il siffla le cocher, monta et se fit conduire au théâtre.

« Où en est-on ? demanda-t-il à un des buralistes.

— Le convive de pierre vient d’entrer en scène. »

On jouait Don Juan.

Zésim se promena de long en large dans le vestibule de l’escalier et attendit la bien-aimée. Il s’écoula encore quelques minutes qui lui parurent bien pénibles ; puis des applaudissements éclatèrent, et en même temps les portes s’ouvrirent. Le public sortit en foule. Sur toutes les marches descendaient lentement des dames élégantes avec leurs cavaliers. De toutes parts ce n’étaient que causeries et rires.

Enfin il aperçut Anitta. Elle marchait en avant avec le comte. Ses parents suivaient. Zésim se dissimula derrière Un pilier, de façon à ne pas être vu de la jeune fille, et observa ses mouvements et sa physionomie avec une attention douloureuse. Il pouvait être satisfait. Anitta si vive, si gaie d’habitude, avait l’air d’une statue ; rien ne remuait en elle ; sur son visage se lisait une froide indifférence, pendant que le comte se donnait toutes les peines du monde pour lui arracher un sourire et la dévorait de son regard de flamme. Zésim vit aussi Soltyk aider