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XIX

DANS LE FILET

Je place maintenant ma destinée entre tes mains.
POUSCHKINE.

Dragomira fut instruite par Sessawine de la catastrophe qui avait anéanti l’amour de Zésim dans son printemps. Il lui raconta l’histoire comme une nouveauté piquante dont parlait toute la ville et ne s’aperçut pas le moins du monde de l’effet que ses paroles produisaient sur la mystérieuse jeune fille.

Cette belle créature, qui paraissait si froide et qui savait si bien se dominer, perdit, pour quelques instants, tout empire sur elle-même. Elle poussa d’abord un léger cri, qu’il prit pour l’expression de son étonnement, tandis que dans ce cri vibraient toute la douleur et toute la révolte désespérée d’une âme à la torture ; puis elle devint toute blanche ; ses lèvres mêmes pâlirent, et la seconde d’après, cette pâleur de mort disparut sous une rougeur enflammée. Elle se leva brusquement et se mit à aller et venir, en proie à une vive émotion.

« Racontez-moi donc, murmura-t-elle, racontez-moi tout ce que vous savez. Les parents l’ont éconduit, et elle… elle aussi ?… et elle se marie avec le comte Soltyk ? Avez-vous bien compris ?

— Oui, certainement, » répondit Sessawine sans s’étonner le moins du monde des façons de Dragomira.

Il y a des hommes qui ont des yeux pour ne point voir.

« Elle a joué et badiné avec lui, voilà tout, et le pauvre lieutenant a cru que c’était sérieux.

— Et elle prend le comte ?

— Pourquoi ne le pendrait-elle pas ? »