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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/174

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Un scélérat, répondit Dragomira. Vous aimez Anitta et vous me faites la cour.

— On veut me marier avec Mlle Oginska, voilà tout.

— Tactique de jésuite. On veut unir deux familles puissantes et faire de vous un instrument politique.

— Vous pouvez bien avoir raison, murmura Soltyk, surpris au plus haut point de cette remarque, mais je ne suis pas bon à faire un instrument.

— Alors vous n’aimez pas Anitta ?

— Non. »

Le comte était encore debout devant Dragomira ; il s’assit alors sur un divan, auprès d’elle, de façon à avoir un genou en terre, et il lui saisit les mains en lui disant :

« Je vous aime ! »

Dragomira rit de nouveau.

« Vous pouvez rire, je vous aime pourtant, et je vous jure que vous êtes la première que j’aime. Jusqu’à présent je n’ai connu que des fantaisies passagères, parfois un court enivrement, mais mon cœur était libre, et surtout ma tête. Ce que j’éprouve en face de vous, je le ressens pour la première fois. Je ne suis pas exalté, je ne suis pas amoureux, je ne suis pas du tout ivre de votre beauté. J’ai le sentiment que vous avez été créée pour moi, que votre âme est de la même essence que la mienne, que la vie sans vous n’a aucune valeur, et que la vie à côté de vous serait le paradis. Si ce n’est pas là de l’amour qu’est-ce donc ? »

Pendant qu’il parlait, les yeux de Dragomira s’attachaient sur son beau et mâle visage.

« Pauvre comte ! dit-elle en relevant lentement la manche de son caftan, mais, en vérité, je commence à croire que vous m’aimez.

— Et vous me plaignez, s’écria Soltyk avec animation, parce que vous ne pouvez pas répondre à cet amour.

— Je ne vous aime pas…

— Parce qu’un autre possède votre cœur.

— Quelle impatience ! ne m’interrompez donc pas.

— Alors, je vous demande en grâce…

— Je ne vous aime pas, mais mon cœur est encore libre ; essayez de le conquérir. De tous ceux qui y prétendent vous êtes le seul qui ne me déplaise pas. »

Elle avait détaché une petite chaîne d’or qui entourait son beau bras et elle jouait avec.