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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/175

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

« Vous me permettez donc d’espérer ?

— Oui.

— Oh ! que je suis heureux ! »

Le comte avait saisi ses mains et les couvrait de baisers. Elle le laissa faire pendant quelque temps, puis elle retira une de ses mains et lui passa la petite chaîne autour du bras.

« Que faites-vous ? Voulez-vous faire de moi votre chevalier ?

— Non, mon esclave. Vous voyez bien que je vous mets à la chaîne. »

Cependant un domino rose s’était approché de Zésim.

« Quoi ! seul ? lui dit-il ; où est l’enchanteresse qui t’a mis dans ses fers ?

— De qui parles-tu ? Je suis encore libre, répliqua Zésim.

— N’essaye pas de me tromper, tu n’y réussirais pas, continua le domino ; il n’y a déjà pas si longtemps, tu as juré à une autre que tu l’aimais. L’aurais-tu si vite oubliée, si un nouvel astre ne s’était pas levé sur ta vie ?

— Qui es-tu ?… Zésim parcourut du regard cette taille élancée, saisit les mains de l’inconnue, qui tressaillit, et les retint fortement en cherchant à lire dans ses yeux sombres.

— Non, ce n’est pas possible, murmura-t-il enfin ; je me suis trompé.

— Lâche-moi, dit le domino en suppliant.

— Pas encore ; j’ai une autre question à t’adresser.

— Eh bien ?

— Qui t’a envoyée ?

— Personne.

— Alors, dans quelle intention viens-tu ?

— Pour t’avertir. Un danger te menace.

— Un danger ?… De la part de qui ?

— De la part de celle que tu aimes.

— Si tu veux que je te croie, dit Zésim ému, dis m’en davantage, dis-moi tout ce que tu sais. »

Les yeux sombres se reposèrent un instant sur lui avec une expression presque douloureuse.

« Soit, mais ce n’est pas ici le lieu. Tu entendras bientôt parler de moi. »

Les mains tremblantes se dégagèrent d’un mouvement énergique, et le domino à la taille élancée comme celle d’une jeune fille disparut rapidement au milieu du tourbillon de la fête.