Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
182
LA PÊCHEUSE D’AMES.

— Qui vous dit, interrompit Dragomira, que je ne le veux pas, moi aussi ? Chacun croit connaître la route du paradis ; quelle est la vraie ? Vous suivez la vôtre ; moi, la mienne ; et tous les deux nous espérons sincèrement arriver à la lumière éternelle. »

Le P. Glinski regarda Dragomira avec surprise.

« Vous voulez me barrer le passage, continua-t-elle, j’accepte le combat ; je ne crains rien en ce monde, car Dieu est avec moi. »

Le jésuite resta muet. Si jusqu’à présent il avait cru pénétrer Dragomira, pour le moment il se trouvait tout à coup en face d’une énigme. Il eut de la peine à dissimuler son trouble. Il respira quand Henryka Monkony entra et mit fin à l’entretien. Pendant qu’elle embrassait Dragomira avec tous les transports d’une tendresse exaltée, il se leva et prit son chapeau.

« Vous partez déjà ? dit Dragomira en souriant.

— Je pense que nous n’avons plus rien à nous dire, répondit Glinski en l’observant du coin de l’œil.

— Alors, c’est la guerre ?

— Comme vous voudrez. »

Le jésuite s’inclina en jetant un regard de compassion sur Henryka qui, un bras passé autour de Dragomira, restait tout étonnée.

« Que voulait-il donc ? demanda-t-elle, quand le jésuite fut parti.

— Il s’imagine que je veux enlever le comte à Anitta.

— Vous ? »

Henryka éclata de rire.

« Comme si vous pouviez empêcher que tous les hommes perdent la tête dès qu’ils s’approchent de vous ! Je crois sans peine que Soltyk brûle pour vous ; mais cela vous est parfaitement indifférent, n’est ce pas ?

— Bien sûr.

— Vous êtes née pour être aimée, continua Henryka, mais vous êtes bien au-dessus de toute faiblesse terrestre ; je le sens, et c’est justement ce qui m’entraîne vers vous avec une force surnaturelle. »

Dragomira s’était assise dans un fauteuil, près de la cheminée. Henryka se mit à genoux devant elle, et, levant ses yeux bleus enthousiastes, la regarda comme en extase.

« Oui, je vous adore comme un être supérieur, comme une sainte, continua-t-elle ; auprès de vous toutes les autres me pa-