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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/284

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Le P. Glinski alla prendre une peau de tigre et lui enveloppa les pieds.

« Je vous remercie, dit Dragomira en souriant, des ennemis si galants, on peut les accepter.

— Je ne suis pas votre ennemi, répondit Glinski, j’ai seulement en vue le bonheur de Soltyk, que j’aime comme mon fils.

— Croyez-vous que je veuille sa perte ? s’écria Dragomira en le regardant bien en face, je veux son bonheur tout comme vous, et la question est de savoir lequel atteindra plus tôt ce but, vous ou moi.

— Vous avez de l’avance.

— Soit, mais est-ce bien sage de s’attaquer quand on aspire au même but ? Il serait plus simple, ce me semble, de faire alliance. Vous devez pourtant finir par voir bien clairement que ce n’est pas avec Anitta que vous pourrez tenir votre comte en bride.

— Hélas !

— Cherchez donc avec moi ce qu’il y aurait à faire ?

— On peut causer là-dessus. »

Henryka revint, elle avait sur le bras la jaquette de fourrure de Dragomira et tenait ses pantoufles à la main.

« Puis-je t’aider ? demanda-t-elle.

— Non. Pourquoi y aurait-il alors de galants jésuites en ce monde ? répondit Dragomira avec le ton légèrement badin d’une dame du monde coquette. Va, va aussi changer de vêtements, ou tu te rendras malade. »

Henryka baisa la main de Dragomira et se hâta de sortir.

« Eh bien, non, dit Dragomira, je ne peux vraiment pas vous employer. Veuillez passer un instant dans la chambre à côté. »

Glinski obéit. Quand il revint au bout de deux minutes, Dragomira avait ôté son corsage et passé sa jaquette. Elle était de nouveau assise près de la cheminée. Les flammes rouges qui s’élevaient en languettes semblaient caresser sa nuque, son buste virginal d’amazone et ses beaux bras plongés dans la molle fourrure.

Dans la vaste salle, le crépuscule étendait ses ombres grises, au milieu desquelles resplendissaient les bras de la jeune fille, ainsi que son cou blanc et son épaisse chevelure d’or aux souples ondulations.

Le jésuite en était tout surpris ; il le fut bien davantage lorsque Dragomira tourna vers lui ses grands yeux enchan-