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Page:Sacher-Masoch - La Pêcheuse d’âmes, 1889.djvu/74

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LA PÊCHEUSE D’AMES.

l’entrée, admirant les tableaux suspendus comme enseignes. Un nègre habillé de rouge conduisit Dragomira et Sessawine dans l’intérieur, et Karow vint avec empressement à leur rencontre pour leur donner, avec beaucoup d’amabilité, toutes les explications nécessaires. Quand on eut vu tous les animaux, Dragomira revint à la cage des lions.

« Les fières, les magnifiques bêtes ! dit-elle. Avec quoi vous protégez-vous contre leur férocité, monsieur Karow ? Avec quoi les maîtrisez-vous ?

— Avec le regard et la voix, répondit Karow ; si vous le désirez, je vais vous donner une petite représentation de mon savoir faire.

— Non, je vous remercie, répondit Dragomira d’une voix calme, pendant qu’elle dévorait des yeux les superbes animaux, mais permettez-moi d’entrer dans la cage.

— Quelle idée ! dit Karow, vous ne savez pas manier les bêtes, et, à coup sûr, vous seriez mise en pièces.

— Je voudrais pourtant essayer.

— Mais vous plaisantez, mademoiselle, dit Sessawine.

— Non, c’est tout ce qu’il y a de plus sérieux.

— Je vous en conjure… continua Sessawine, ce serait affreux si, bien malgré moi, j’étais l’occasion de…

— Je voudrais voir, interrompit Dragomira, si Dieu ne m’a pas réellement réservée pour quelque grande tâche, ou si je ne suis plus qu’une feuille inutile de l’arbre de la vie.

— On ne doit pas faire des essais de cette sorte, dit Karow, en regardant fixement Dragomira, ce ne serait pas du courage, mais de la démence.

— Moi, je dirais que c’est de la confiance en Dieu, répliqua Dragomira.

— Si Dieu veut vous faire mourir, il n’a pas besoin de ces lions.

— Peut-être, murmura Dragomira. Une force mystérieuse me pousse à entrer dans cette cage. Qu’est-ce ? Ou ma destinée est de finir maintenant, ou Dieu me donnera un signe, et accomplira un miracle en moi. Laissez-moi entrer, Karow.

— Non, je ne le peux pas.

— Vous ne le pouvez pas ? même si je le veux, même si je l’ordonne ?

— Voulez-vous donc absolument mourir ? dit Karow d’une voix basse et oppressée.

— Je vous ordonne de m’ouvrir la cage.