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LA PÊCHEUSE D’AMES.

Zésim lui prit la main, repoussa un peu son manteau, et lui baisa le bras entre le gant et la manche.

« M’aimez-vous ? demanda tout bas Anitta.

— De tout mon cœur.

— Moi aussi, je vous aime bien. »

Elle le regarda d’un regard enchanteur, lui dit adieu d’un charmant petit signe de tête et partit. Zésim la suivit des yeux et soupira ; ce n’était pas la tristesse, mais l’émotion du bonheur qui le faisait soupirer.

Le soir, Zésim se tenait, le cœur palpitant dans le vestibule du théâtre, au bas de l’escalier recouvert de tapis. Les élégants cavaliers et les dames en riche toilette défilaient devant lui. Mais aucune de ces beautés n’obtenait de lui plus qu’un coup d’œil fugitif et indifférent. Cependant, en passant devant le bel officier, l’une redressait fièrement les épaules et la tête, l’autre riait d’un rire forcé, une troisième lui lançait des regards provoquants ; toutes le remarquaient et cherchaient à être remarquées.

Enfin arriva celle qu’il attendait. Elle était avec sa mère. Sa toilette était, en effet, très jolie : elle avait une robe de satin rose, à traîne courte, un manteau de théâtre de soie blanche brochée, garni de renard blanc, une rose blanche au corsage, une autre dans les cheveux. Il ne pouvait y avoir rien de plus ravissant que ce contraste de l’hiver et du printemps. Anitta sourit et fit un signe de tête à Zésim en passant devant lui de son pas léger.

Cependant le comte Soltyk était assis dans sa loge, déjà énervé et ennuyé. Il avait envoyé des fleurs à la prima donna, mais dans le fond elle lui était aussi indifférente que les dames appuyées au balcon de velours, qui braquaient leurs lorgnettes sur lui. Mme Oginska et sa, fille entrèrent dans la loge qui était en face de celle du comte. Le regard de Soltyk effleura la mère ; il la reconnut ; et comme pour le moment il n’avait rien de mieux à faire, il regarda fixement la fille.

Anitta resta debout un instant contre le balcon, sans plus se douter de l’attention du comte que si elle avait été une marchandise vivante dans un marché d’esclaves. Le comte s’était soudain animé ; ses joues se colorèrent, ses lèvres frémirent, Ses yeux ardents dévoraient cette charmante créature, à la grâce presque enfantine, et s’arrêtèrent longtemps sur ce visage si pur et si délicieux. On joua l’ouverture, le chœur chanta et la prima donna fit son entrée. C’est en vain qu’elle