Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/24

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fouet, un piétinement de chevaux et des voix confuses. Puis un silence ; ensuite une voix étrangère qui vint se mêler à celle des paysans. C’était une voix d’homme, une voix qui riait, qui était comme remplie d’une musique gaie, franche, superbe, et qui ne craignait point ceux à qui elle s’adressait ; elle s’approchait de plus en plus, enfin un homme franchit le seul.

Je me redressai, mais je ne vis que sa haute taille, car il entrait à reculons en parlementant toujours avec les paysans sur un ton de plaisanterie. — Ah çà ! mes amis, faites-moi donc la grâce de me reconnaître ! Est-ce que j’ai l’air d’un émissaire, moi ? Est-ce que le comité national se promène sur la route impériale à quatre chevaux, sans passeport ? Est-ce qu’il flâne la pipe à la bouche, comme moi ? Frères, faites-moi la grâce d’être raisonnables !

On vit paraître dans la porte plusieurs têtes de paysans et autant de mains qui frottaient des mentons, ce qui voulait dire : voilà une grâce, frère, que nous ne te ferons point.

— Ainsi, vous ne voulez pas vous raviser… à aucun prix ?

— Impossible.

— Mais suis-je donc un Polonais ? Voulez-vous que mes père et mère se retournent dans leur tombe au cimetière russe de Czerneliça ? Est-ce que mes aïeux n’ont pas combattu les Polonais sous le Cosaque Bogdan Khmielniçki ? Ne sont-ils pas allés avec lui les assiéger dans Zbaraz, où ils étaient campés, couchés, assis ou debout, à leur choix ?