Voyons, faites-moi la grâce, laissez-moi partir…
— Impossible !
— Même si mon bisaïeul a fait le siège de Lemberg sous l’hetman Dorozenko ? Je vous assure qu’alors les têtes des gentilshommes polonais n’étaient pas plus chères que les poires ; mais, bonne santé, et que ça finisse !
— Impossible !
— C’est impossible pour de bon ? Sérieusement ?
— Sérieusement.
— Tant pis. Bonne santé tout de même !
L’étranger se résigna sans plainte. Il entra, inclina légèrement la tête en réponse aux salamalecs du Juif, et s’assit devant le buffet en me tournant le dos. La Juive fit un mouvement, le regarda, déposa sur le poêle son enfant, qui dormait, et s’approcha du buffet. Elle avait dû être belle jadis, quand Mochkou l’épousa ; maintenant ses traits avaient quelque chose de singulièrement âpre. La douleur, la honte, les coups de pied et de fouet ont longtemps travaillé cette race jusqu’à donner à tous ces visages cette expression à la fois ardente et fanée, triste et railleuse, humble et haineuse. Elle courbait le dos, ses mains fines et transparentes jouaient avec un des gobelets, ses yeux s’arrêtèrent sur le nouveau venu. De ces grands yeux noirs et humides s’échappait une âme de feu, comme un vampire qui sort d’une tombe, et s’attachait sur le beau visage de l’étranger.
Il était vraiment beau. Il se pencha vers elle par-dessus la table, y jeta quelques pièces d’argent, et