demanda une bouteille de vin. — Vas-y, dit le Juif à sa femme.
Elle se courba davantage, s’en alla les yeux fermés comme une somnambule. Mochkou, s’adressant à moi, me dit à voix basse : — C’est un homme dangereux, un homme bien dangereux ! — Et il hocha sa petite tête prudente avec les petites boucles noires massées sur le front.
Il avait éveillé l’attention de l’étranger, qui se retourna subitement, m’aperçut, se leva, tira son bonnet de peau de mouton, et s’excusa très poliment. Je lui rendis son salut. La bienveillance russe s’est tellement incarnée dans le langage et les mœurs qu’il est presque impossible à l’effort individuel d’aller au delà de la tendresse insinuante des phrases consacrées. Néanmoins nous nous saluâmes avec plus de politesse encore que ne le veut l’usage. Quand nous eûmes fini de nous proclamer réciproquement nos très humbles valets et de « tomber aux pieds » l’un de l’autre[1], l’homme dangereux s’assit en face de moi, et me demanda la permission, « par miséricorde », de bourrer sa pipe turque. Déjà les paysans fumaient, le diak fumait, le poêle lui-même s’était mis de la partie ; pouvais-je le priver de sa pipe ? — Ces paysans ! fit-il gaîment ; dites-moi vous-même, à cent pas me feriez-vous cette chose de me prendre pour un Polonais[2] ?