Aller au contenu

Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’homme sent qu’il est à la merci d’un adversaire impitoyable. Il se prosterne : foule-moi sous tes pieds, je serai ton esclave ; mais viens, aie pitié de moi !… Oui, l’amour est une douleur, et la possession une délivrance ; mais vous cessez de vous appartenir.

» La femme que j’aime est mon tourment. Je tressaille, si elle passe, si j’entends le frôlement de sa robe ; un mouvement imprévu m’effare… On voudrait s’unir indissolublement pour l’éternité. L’âme descend dans cette autre âme, se plonge dans la nature étrangère, ennemie, en reçoit le baptême. On s’étonne que l’on n’a pas toujours été ensemble : on tremble de se perdre ; on s’effraye quand l’autre ferme les yeux ou que sa voix change. On voudrait devenir un seul être ; on s’abandonne comme une chose, comme une matière plastique : fais de moi ce que tu es toi-même. C’est un vrai suicide ; puis vient la réaction, la révolte. On ne veut pas se perdre tout à fait, on hait la puissance qui vous domine, vous anéantit ; on tente de secouer la tyrannie de cette vie étrangère, on se cherche soi-même. C’est la résurrection de la nature. »

Il tira de sa liasse un second feuillet. — « L’homme a sa peine, ses projets, ses idées qui l’environnent, le soulèvent, le portent comme sur des ailes d’aigle, l’empêchent d’être submergé. Mais la femme ? qui lui prêtera secours ? Enfin elle sent vivre en elle son image à lui, — elle le tient, dans ses bras, le presse sur son cœur ! Est-ce un rêve ? L’enfant lui dit : Je suis toi, et tu vis en moi ; re-