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BIEN CALCULÉ

courbe jusqu’à terre, ce qui est pour moi une horrible torture.

— Cela passera comme toute douleur. Vous souffrez, mais on ne vous a pas volé toute votre part de bonheur sur terre, on ne vous a pas volé l’avenir. Moi, on m’a traité bien plus cruellement. Je vais vous raconter mon étrange histoire.

» J’ai aimé moi aussi, une fois, la seule de ma vie, et je me croyais payé de retour. Pourquoi ne m’aurait-elle pas aimé ? J’étais riche et elle une comtesse pauvre. Elle m’aima tant et si bien, vous comprenez, qu’elle devint ma femme.

» Après la bénédiction nuptiale, elle m’avoua que, depuis des années, elle avait été à un autre, un homme marié ; elle avait eu besoin de mon nom pour sauver son honneur.

» Ce fut tout.

» Je la renvoyai chez sa mère. Elle ne se plaignit pas, cela faisait partie de son plan, et moi je restai seul. Je l’avais beaucoup aimée. »

Le narrateur détourna la tête vers la fenêtre, et des larmes amères roulèrent de ses yeux sur ses joues. Il reprit ensuite :

« C’est une histoire absurde ; j’ai essayé de me surmonter mais sans pouvoir y parvenir, et peu à peu j’en suis venu à tourner le dos à la vie.

» Croyez-moi, il y a un moyen d’échapper à