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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

toutes les douleurs ; ce moyen, c’est le renoncement. J’ai dit adieu à toutes les espérances ; j’ai éloigné de moi le plaisir, la joie, et j’ai fini par conquérir la tranquillité, le calme, par être même heureux, très-heureux. Je n’accorde à mon corps rien de ce qui peut lui être agréable ; je lui refuse tout ce qui ne lui est pas strictement indispensable, et voilà pourquoi on me croit fou.

» L’été, l’hiver, je me lève avec le soleil et je travaille comme un journalier. Je cultive moi-même mon jardin. J’ai ici dans ma maison un atelier de menuiserie où je fais beaucoup de besogne. Tout mon revenu, tout ce que je gagne par le travail de mes mains, je le donne aux pauvres, aux affligés, aux malheureux. Je ne m’occupe pas de ceux qui étalent leur misère dans les rues ; non, ma joie, c’est de découvrir, de secourir ceux que le sentiment de leur dignité empêche de faire appel à la charité d’autrui. Hélas ! Il y a tant de misère sur terre et je ne puis faire que si peu de chose ! »

Le comte cessa de parler, et tomba dans une douloureuse rêverie.

Il a été dit que dans les derniers mois écoulés un grand changement s’était opéré chez Andor. Maintenant, quelques jours suffirent à le transformer autant et plus que de longues années.