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CE QUE RACONTE UNE MÈRE

poursuivre, à atteindre ? Et, cependant, je suis bien heureuse par mes souvenirs.

Je n’ai qu’à remonter le courant des jours écoulés et je sens en moi un étrange bien-être, la vive gaieté d’une fillette. Ah ! qu’il fait bon, mon enfant, de n’avoir que des souvenirs jolis, bons, purs surtout, sans tache !

Mon père avait une jolie propriété, et, dans cette propriété, une antique maison ayant l’air d’un château, avec ses pignons, ses saillies, ses petites tours. Elle était entourée d’un parc non entretenu et beau par cela même que personne ne s’en occupait, qu’aucun jardinier ne cherchait à l’embellir, qu’il était abandonné aux soins de la seule nature. C’était une vraie forêt vierge que notre parc, une forêt pleine d’oiseaux chantant dans les arbres, d’abeilles bourdonnant sur les pelouses émaillées de toute espèce de fleurs.

Je grandis dans cette maison, ce jardin.

Je ne connus jamais ma mère. Elle était morte, moi à peine au monde.

J’avais une nourrice dont la bonne figure me revient là, radieuse sous son bonnet blanc, ressemblant toujours à un rayon de soleil. Elle demeura parmi nous jusqu’à ce qu’il me fut possible de courir seule : puis un jour elle prit le lit et ne le quitta plus. Je me souviens encore qu’en touchant