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Page:Sacher-Masoch - Les Prussiens d’aujourd’hui, 1877.djvu/53

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VENDEUR OU ACQUÉREUR

comme une femme, qu’il voulût plaire à tout le monde, qu’il fût aussi coquet avec le sexe fort qu’avec le sexe faible.

En tout temps et partout, il portait dans sa poche un petit miroir encadré en argent. Pendant la dernière guerre, au milieu du combat, alors que la mitraille ennemie renversait hommes et chevaux, il se mirait dans sa glace pour s’assurer s’il avait bonne mine.

Comment ce jeune dieu, qui semblait n’être venu sur terre que pour se laisser adorer, avait-il pu se prendre d’une aussi belle passion pour la comtesse Rosa Bärnburg, sa tante à un degré éloigné ?

Le miracle ne peut s’expliquer qu’ainsi : elle était deux fois aussi âgée que lui, ce qui, aux yeux des jeunes gens, vaut aux femmes autant de charme que de supériorité, et puis elle avait une manière de faire si nonchalante, si fine, si sûre, qu’il n’était pas possible de lui résister.

Pour le monde, la comtesse Rosa Bärnburg avait trente ans. Son extrait de naissance disait bien trente-six, mais les extraits de naissance sont toujours peu galants. Elle passait pour jolie parce qu’elle savait mieux que personne s’habiller richement, avec goût ; pour femme d’esprit, parce qu’elle ne se bornait pas à choisir ses connais-