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NOUS AVIONS MIS SUR PIED SEIZE BANNIERES

Il y avait à peine quelques lampes allumées dans la grande salle, et encore ne projetaient-elles qu’une lueur trouble, indécise. Partout régnait cette demi-obscurité qui rend communicatif, et que recherchent les couples amoureux. Tous les bancs de l’olympe étaient occupés. On allait donner une tragédie, une œuvre de Schiller, et le peuple aime ses grands écrivains, ceux du moins qui méritent d’être ainsi appelés ; au théâtre, c’est lui qui est le public véritablement sympathique, véritablement cultivé.

Le temps n’est plus où les grands et les riches écoutaient, avec un frisson de l’âme, les manifestations de l’art. Aux dames parées qui s’étalent dans les fauteuils, dans les loges là-bas au-dessous, aux messieurs blasés qui s’appuient contre les colonnes du parterre, il manque la puissance de savourer, parce qu’ils ne sont pas venus dans la salle avec ce qu’il faut pour cela, avec l’esprit, la force de sentiment nécessaires.

Ce qui constitue la société de nos jours, ce qui donne le ton : la noblesse, les militaires, la finance, les juifs, passe à tort pour représenter la partie cultivée de la nation. Pour la trouver, cette partie cultivée, il faut la chercher dans les magasins, les comptoirs, les bureaux, les usines, les fabriques et, au théâtre, à la dernière galerie.