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LA MÈRE DE DIEU.

l’autre rive du Dniéper étaient venus soumettre à la Mère de Dieu une querelle qu’ils avaient ensemble depuis longtemps.

Mardona se rendit dans la maison de son père. Tandis qu’elle jugeait le différend des deux paysans, Sabadil sella son cheval, secrètement, et s’éloigna. Il ne rentra pas à Solisko, mais alla chez Michel Obrok, le plus hardi chasseur d’ours des Carpathes. Il y passa la nuit et, le matin avant le jour, se rendit avec lui dans la forêt, le fusil sur l’épaule.

Ils découvrirent les traces d’un ours imprimées dans la neige, et celles d’un loup, mais ne surprirent aucune proie. Sabadil rentra chez lui sombre et de très mauvaise humeur. Il se jeta sur son lit de paille et y resta une nuit et une journée, comme anéanti, Puis il se rendit à Fargowiza-polna, pénétra dans la métairie sans être vu et conduisit son cheval à l’écurie.

Il était pénétré de sensations à lui tout à fait inconnues et qui le surprenaient ; des idées étranges bourdonnaient dans sa tête et lui faisaient monter le sang aux joues. Il devait vaincre le démon qui le tentait, avait dit Mardona ; mais il lui semblait, au contraire, que c’était le démon qui acquérait de plus en plus d’ascendant sur lui. Des doutes cruels l’assaillaient : il était jaloux. La haine lui brûlait le cœur. Il détestait Mardona et il la craignait tout à la fois. Il eût voulu la mépriser et il sentait qu’elle s’était emparée de son âme, de toutes ses pensées, qu’il lui appartenait plus complètement qu’auparavant, maintenant qu’elle le torturait de douleurs inouïes.