Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/118

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hommes, sa tête à la beauté fascinante, ses bras plus blancs que ceux d’Hérè, et sa gorge semblable à du marbre de Paros, tandis que dans l’ombre de la caverne traîne son ventre squameux sur les ossements polis comme de l’ivoire des amants dévorés. Le Cœur d’Hialmar, morceau d’une sauvagerie scandinave, où le héros mourant sur le champ de bataille invite le corbeau à lui prendre dans la poitrine son cœur rouge et fumant pour le porter à la blanche fille d’Ymer, semble dicté par une Walkyrie ! et la Prière pour les morts, hymne védique d’une profonde solennité religieuse, serait approuvée des richis et des mounis de l’Inde, assis sur leurs peaux de panthère entre quatre réchauds.

Quelques pages plus loin se trouvent des sonnets de Louis Ménard, non moins amoureux du génie grec que Leconte de Lisle. Ménard, à la fois savant, peintre et poète, est un des esprits modernes qui ont le mieux compris l’hellénisme et pénétré le sens de cette civilisation douce et charmante où l’homme s’épanouissait dans toute sa beauté, parmi des dieux presque pareils à lui. Entre ces sonnets, il en est un précisément intitulé Nirvana : l’auteur y exprime ses aspirations à l’éternel repos et au néant divin comme tous ceux qui ne sont pas nés de leur temps, que lassent les combats d’une vie sans intérêt pour eux et que poursuit le souvenir nostalgique d’une patrie idéale perdue. Louis Ménard était évidemment fait pour les entretiens du cap Sunium et des jardins d’Académus. C’est un Grec né deux mille ans trop tard, et quand nous le vîmes pour la première fois, il nous fit songer à ce dernier prêtre d’Apollon que Julien rencontra dans un petit dème de l’Attique, allant, faute de mieux, sacrifier une oie sur l’autel demi-écroulé de son dieu tombé en désuétude.

L’Exil des dieux de Banville peuple une vieille forêt druidique des dieux chassés de l’Olympe, et montre sous son aspect sérieux un thème poétique que Henri Heine, avec son scepticisme attendri et sa sensibilité moqueuse, avait traité plus légèrement. Jupiter, qui est redevenu Zeus, selon la terminologie de Leconte de Lisle,