Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/74

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Delorme, les Consolations, les Pensées d’août, et autour de chaque génie l’admiration groupait des imitateurs. Lamartine fut copié d’abord avec plus ou moins de bonheur ; Victor Hugo eut ensuite une habile, fervente et nombreuse école ; Alfred de Vigny, retiré dans sa tour d’ivoire, réunit quelques fidèles ; plus tard ce fut Alfred de Musset qui prédomina. Sa sensibilité nerveuse mêlée de dandysme et de raillerie, sa négligence pleine de grâce, son vers facile marchant parfois tout près de la prose et se relevant comme un oiseau d’un rapide coup d’aile, son rire trempé de larmes, son scepticisme si frais, si candide et si attendri encore dans ses blasphèmes et ses désespérances, devaient séduire et séduisirent en effet la jeunesse. Alfred de Musset est le poète de la vingtième année ; sa muse n’a connu que le printemps et à peine le commencement de l’été : l’automne ni l’hiver ne sont venus pour elle. Namouna enfanta une nombreuse famille : Franck eut beaucoup de frères, et Belcolor bien des sœurs et des cousines. Aux Nuits de mai, d’août, d’octobre, de novembre et de décembre se joignirent d’innombrables Nuits qui avaient la meilleure envie d’être élégiaques et lyriques, mais qui ne servirent qu’à montrer combien le génie de l’auteur était inimitable.

La poésie philosophique trouvait un interprète dans Laprade dont le poème de Psyché contient les développements de l’âme humaine arrivant à une plus haute conscience d’elle-même à travers les phases et les épreuves des civilisations. Laprade se rapproche plutôt de la manière d’Alfred de Vigny que de celle de Victor Hugo, quoiqu’il ait dans son idéalité un peu abstraite un accent propre qui s’accusa plus tard avec une décision suprême dans la magnifique pièce adressée à un chêne, qui est le chef-d’œuvre et comme la note dominante du poète. Il a prolongé depuis et répété comme à plaisir cette note en l’affaiblissant peut-être, mais il est resté parmi nous l’hiérophante de la nature végétale et des solitudes alpestres, une espèce de druide ou plutôt de prêtre de Dodone. Il a trouvé pour dire les grands arbres des vers d’une sonore amplitude,