Page:Sacy, Féval, Gautier, Thierry - Rapport sur le progrès des Lettres, 1868.djvu/86

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laissé l’empreinte d’un talent vigoureux et robuste nourri de fortes études. Chapelain pourrait dire de lui comme de Molière : "Ce garçon sait du latin." Sa meilleure pièce, peut-être, est celle qu’il appelle Utopie et dans laquelle il décrit son rêve de perfection : un morceau de dimension modeste, un bijou de métal précieux finement ciselé, une perle sertie dans l’or, une fleur à mettre parmi les plus fraîches au cœur d’un bouquet d’anthologie ; il a réalisé son rêve en l’exprimant.

Si le Poëme des champs, de Calemard de la Fayette, est de publication récente, il y a longtemps que son auteur cultive le champ de la poésie, cette terre ingrate et trop souvent stérile, mais qu’on abandonne toujours à regret ; il a fait autrefois des poésies et une traduction de Dante en vers très remarquables, et le voilà qui, après un long silence, reparaît avec un poème en huit livres.

Les poèmes de longue haleine sont assez rares dans l’école nouvelle, et surtout les poèmes didactiques ; il semble que ce genre soit suranné, il n’est qu’antique pourtant. Hésiode a fait les Mois et les Jours, et Virgile les Géorgiques, ce qui balance bien les Saisons de Saint-Lambert et les Jardins de l’abbé Delille. Nous pensons qu’avec sa riche palette et son large sentiment de la nature, le romantisme, qui ne craint pas le mot propre et le détail familier, pourrait s’essayer avec bonheur dans le poème descriptif et didactique. La même idée est venue à Calemard de la Fayette. Enlevé au tourbillon de Paris et devenu propriétaire d’un grand domaine rural, il se mit à gérer ses terres lui-même. Mais pour cela il ne renonça pas à ses goûts d’artiste et il essaya d’atteler Pégase à la charrue. Le bon cheval ailé ne se mit pas à ruer formidablement comme le Pégase de la Ballade de Schiller, soumis par un rustre à des travaux ignobles. Ayant reconnu que la main qui le guidait était une main de poète, il ne s’enleva pas dans les étoiles avec l’instrument aratoire fracassé, et traça droit son sillon, car il labourait une bonne terre sur ces pentes douces par lesquelles le Parnasse rejoint la plaine. Pour faire des Géorgiques, il ne suffit pas d’être