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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


Le marquis envisage les suites de l’affaire et n’est pas d’accord avec l’avocat sur la conduite à tenir. Il déplore que Treillet l’ait devancé auprès du procureur général. (Sans date).

Vous me permettrez de vous dire, mon cher avocat, que jamais il ne me sera possible d’en revenir à votre avis. Je ne vois pas que de prévenir un juge du danger où vient de vous mettre un assassin soit redouter les manœuvres de cet assassin ; c’est tout au plus craindre la récidive de son crime, mais voilà tout. Et combien ne craindrais-je pas encore plus cette récidive, lorsque je vois que cet homme est fou et qu’au lieu de fuir, comme vous-même dites qu’il aurait dû faire, il se croit en droit de former une plainte et qu’il y va. C’est donc cette certitude qu’il y va, et qu’il y est, qui me fait vous dire qu’il aurait été extrêmement important, et qu’il l’est encore, de faire prévenir en ma faveur un juge qui, par ma situation, doit être mal disposé et qui naturellement, après tout ce qui s’est passé, doit croire que voilà encore une plainte légitime. Dans tout autre cas, votre façon de penser était excellente, dans celui-ci je ne puis l’approuver ; mais il n’est plus temps à présent ; si cet homme a voulu parler, cela est fait, et cette première impression que je voulais éviter est produite… tout est dit.

Vous dites que M. de Castillon peut penser que ceci est une fille détenue pour tout autre chose que la cuisine. Sans doute il le peut penser, surtout cet homme parlant le premier et tout seul, et c’était précisément pour éviter tout cela que je voulais que vous vissiez au moins Mouret…… Il faut éviter l’éclat, dites-vous ! Sans doute, il faut l’éviter, et c’est précisément parce qu’il faut l’éviter qu’il ne fallait pas le laisser faire à cet homme. Donc il fallait prévenir. Dites tout uniment qu’accoutumé, comme le public, à me trouver du tort parce que je suis malheureux, vous avez cru que je n’étais pas assez innocent ici pour prendre ouvertement mon parti. Voilà le fait, et quand vous ne l’avouerez pas, je n’en suis pas moins convaincu que cela est. Maintenant vous trouvez fort extraordinaire que je dise qu’il était très vraisemblable que cet homme ne venait chercher sa fille que pour avoir un instrument propre à nuire, et cela vous fait, dites-vous, sortir du cours de la règle ordinaire. Je ne vois cependant là rien que de fort simple et de fort probable ; les propos de cet homme n’ont-ils pas prouvé clairement qu’il soupçonnait le mal, qu’il en était même convaincu, avant de se procurer aucun éclaircissement ? N’est-ce pas la première chose qu’il a dite à sa fille, même avant de l’embrasser. Voilà donc un mauvais esprit, un homme qui désespère de s’être trompé et, de voir qu’il n’a plus de dédommagement à exiger sur le mal qu’il croyait qu’on avait fait à sa fille, ne cherche plus qu’à la faire sortir pour prendre avec elle quelque autre moyen qui puisse ramener à ses vues et lui procurer de l’argent ! Et quel danger, d’après cela, n’y avait-il pas de le laisser aller sans être interrogé ! Dans les circonstances de ces petites filles de l’année passée, vous-même conseillâtes, et on nous écrivit de Paris, de ne pas faire autrement. Pourquoi donc changer de