êtes apparemment autorisé par madame de Montreuil à continuer à tenir
en esclavage Antoinette Sablonnière, ma fille, et cela sans aucune raison
légitime, indigne d’honnêtes gens, si vous avez quelque bonne raison,
attaquez-la en justice réglée ; sinon je me détermine à user de ce moyen
pour mon enfant sur lequel j’ai plus d’autorité que personne. J’espère y
parvenir ou les puissances seront endormies. Je ne pense pas qu’il y en ait
qui puissent l’arracher par force d’entre mes bras. Je la réclamerai partout
où elle sera, et je n’entends nullement qu’on la transfère ni à Paris ni ailleurs
sans mon consentement authentique, par écrit et en bonne forme. Je vous
le dis, monsieur, et m’en prendrai à vous aussi bien qu’à tous ceux qui
vous font agir, pour avoir raison de cette façon d’agir si odieuse. Notre bon
roi, qui protège le pauvre comme le riche, daignera m’écouter. Je vais
adresser mes raisons au pied de son trône ; j’intéresserai son ministre pour
adresser ses ordres au procureur général du parlement d’Aix, pour qu’il
prenne ma fille sous sa protection, la rendant libre de venir auprès de moi.
Un père qui réclame son enfant, détenu injustement par une violence inouïe,
sera peut-être écouté en quelqu’un de ces tribunaux. Si pareilles violences
sont permises, nous ne sommes plus en France où on ne retient personne
comme esclave ; la qualité, l’honneur, la raison, encore plus la religion si
on en suit et pratique les principes, devraient s’y opposer et faire ouvrir
les yeux. J’étais si peu disposé à consentir que ma fille fût traduite à Paris,
que j’avais résolu de l’attendre sur le chemin pour l’arracher à ses bourreaux.
Ainsi, monsieur, n’entreprenez pas cette conduite ni autre de la part de
monsieur et dames de Sade ou Montreuil. Je les prendrai à partie et en
aurai raison. Je suis pauvre, mais je trouverai des ressources pour empêcher
l’iniquité de triompher. Je prétends que personne n’aura autant d’autorité
sur mon enfant que moi, le père. Je ne suis pas pour passer [?] avec les
grands, mais en cette occasion j’aurai plus de raison qu’eux et légitime.
Quel dessein a-t-on d’enlever ma fille malgré moi ? Est-elle coupable ?
Qu’on l’accuse en justice et n’use pas d’un pouvoir despotique qui est
contre toutes les lois de France. Vous pouvez communiquer ma lettre à
madame de Montreuil, jointe à celle que j’ai pris la liberté de lui faire
remettre. Elle pourrait faire quelque effet et me satisfaire en me faisant
justice. Les termes dont je me sers sont peut-être hors de place, mais on
doit excuser la tendresse d’un père qui voit son enfant exposée à quelque
événement funeste. Ce n’a pas été pour lui faire du bien qu’on l’a tenue
enfermée si longtemps et lui faire ignorer le sujet ou plutôt le prétexte.
Il est donc temps qu’on le manifeste ou qu’on lui rende la liberté. Ce sera
le sujet de tous mes soins pour tâcher d’en trouver les moyens. J’espère
qu’on m’en évitera une partie et que voudrez bien y contribuer.
J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.