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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


eu avec sa mère une scène terrible lorsque celle-ci lui a dit que l’arrêt d’Aix ne mettrait pas fin à la détention. La présidente lui a marqué ses intentions « avec une hauteur et un despotisme révoltants ».

Mais M. de Sade n’a pas attendu si longtemps d’enfiler la guérite. Pendant que le lieutenant de police Marais le reconduit au donjon de Vincennes, il fausse compagnie à son escorte aux environs de Valence et arrive à la Coste où il fait de son évasion un récit qui dément du tout au tout celui que Marais en a laissé dans son rapport. De retour à la Coste, le marquis montre une activité inaccoutumée qui va de pair avec sa joie. Il entreprend de gérer ses affaires et s’enfonce comme un enfant dans la conviction que tout ce qui est arrivé répond aux desseins de madame de Montreuil et qu’on ne veut point l’empêcher de jouir de sa liberté. Mais tout est concerté chez lui, même cet optimisme ; s’il proteste publiquement de sa confiance et de sa gratitude, c’est pour désarmer la présidente, le parlement et le ministre et forcer leur générosité.

Madame de Sade travaille de son côté à obtenir la levée de la lettre de cachet et espère y parvenir avant six mois. Mais la présidente jette feu et flamme lorsqu’elle parle d’aller rejoindre son mari, et menace aussitôt de le faire arrêter. La dame de Montreuil paraît du reste se résoudre à laisser le marquis en liberté, pourvu qu’il en use à l’écart et sans nouveaux dommages. Elle demande à Gaufridy de l’informer tous les huit jours de la conduite qu’on tient et « si l’on a rien dit de n’avoir plus trouvé les petites feuilles à leur place ». Elle fait savoir à son gendre que sa charge de lieutenant général pour les provinces de Bresse et Bugey, convoitée par des gens puissants et des protégés des Condé, n’a pu lui être conservée, et que tout ce qu’il a été possible d’obtenir est qu’elle fût attribuée au comte de Sade d’Aiguières qui maintiendra le nom en la place. Il paraît d’autre part certain que la présidente a pris ses mesures pour empêcher un échange trop fréquent de correspondance entre le marquis et sa femme, qui écrit à tous les courriers, mais dont les lettres ne parviennent plus à la Coste. Madame de Sade se sert d’une voie détournée pour avertir son mari de prendre garde à lui.

Le marquis a près de lui une nouvelle compagne, mais ce n’est qu’une amie. Mademoiselle de Rousset s’est installée au château de la Coste. Son amitié est ardente, sinon très éclairée, et son zèle excessif. Sous son influence ou celle des événements le marquis conçoit des