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MARQUIS DE SADE — 1778
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soupçons sur Gaufridy dont il a appris ou deviné les relations cachées avec madame de Montreuil. Il ne les laisse percer que pour protester qu’il n’a nul besoin de s’en défendre, et affirme magnanimement sa confiance en soulignant les faits qui auraient pu la lui faire perdre. Un grand complot, où prennent part divers habitants de la Coste et notamment un certain chanoine Vidal désireux de supplanter Gaufridy, est ourdi contre l’avocat ; il en instruit la présidente.

Des avis alarmants parviennent de tous côtés au marquis qui pâtit de l’absence de sa femme, en même temps qu’il la soupçonne d’intelligence avec madame de Montreuil parce qu’il n’en reçoit point de nouvelles. Elles veulent, dit-il, l’effrayer pour qu’il se tienne sage. Gaufridy reconnaît, en protestant de son dévouement, qu’il y a de l’énigmatique dans tout ce qui se passe. M. de Sade essaie en vain de donner le change à ses propres craintes : avisé par son régisseur que les policiers cherchent à venger leur affront, il se moque des larmes que Gaufridy prétend qu’ils ont versées. Entre temps, l’avocat est appelé à Aix et justifie ce déplacement assez inopportun par ses affaires. Peut-être a-t-il voulu se soustraire à une situation pleine de malaise, sinon de danger, mais rien ne permet de penser qu’il ait desservi le marquis. Il y reste jusqu’au vingt-quatre août ; M. de Sade est arrêté le surlendemain à la Coste et reprend sous escorte la route de Paris.

Le premier septembre, il écrit de Lyon à l’avocat une lettre qui ne laisse plus rien percer de sa méfiance. Il y donne, avec un sens et un soin inaccoutumés, toutes les instructions qui seront nécessaires à son régisseur pour la faisance valoir de ses biens. Cette lettre reste pendant dix ans la charte de la famille et Gaufridy s’en autorise comme d’une procuration régulière car, d’une part, la cassation de l’arrêt a mis fin aux pouvoirs d’administration de la marquise, et, de l’autre, M. de Sade refuse tout ensemble de s’occuper de la gestion de ses affaires et de la déléguer, au prétexte de mieux faire apparaître par leur désordre la nécessité de lui rendre sa liberté. Mais cette politique du pire, dans laquelle il s’obstine pendant deux lustres, n’est au fond qu’une défaite. L’homme, repris par la prison, est revenu à son penchant qui est de ne prendre intérêt qu’aux objets d’échéance prochaine ou immédiate.

Au moment même où le marquis chemine vers Paris, madame de Sade fait le projet de partir pour la Provence quoi que puisse en dire sa mère. Elle affirme d’ailleurs qu’on ne songe plus à tracasser son