Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/373

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1792
309


Le marquis accuse son fils le chevalier de s’être rendu auprès de madame de Villeneuve pour lui souffler son héritage. (6 février 1792).

Me voilà encore forcé, mon cher avocat, de vous écrire une lettre à la hâte et qui ne servira point de réponse à celle de vous en date du deux de l’an. L’événement m’y contraint. Il s’agit de M. le chevalier qui, comme vous le savez sans doute, est maintenant auprès de madame de Villeneuve. Il est parti lestement de sa garnison et sans me prévenir de rien, se contentant de me dire : « Je pars. » Le voilà près de madame de Villeneuve ; il est bien facile de voir d’où le coup part, et vous devinez mieux que moi que les Montreuil l’ont dirigé. Quant aux intentions, elles se devinent aussi facilement que le conseil. Vous seul, mon cher avocat, pouvez parer le coup qu’on cherche à me porter. Au nom de Dieu, voyez sur le champ madame de Villeneuve et… que vous dirai-je ici ? Il n’est pas douteux que ce jeune homme va pour disposer ma tante à faire son testament en sa faveur, qu’il y va pour tâcher d’usurper tout l’argent comptant. C’est donc à vous, mon cher avocat, à mettre tout en usage pour parer un pareil coup. Envoyé par madame ma mère, vous comprenez bien aussi que M. le chevalier va s’informer du revenu des terres, de leur rapport, et tout cela pour que madame de Sade, instruite, nous persécute ensuite de lui payer ses quatre mille francs. Or, comment accorderons-nous les récits que va faire M. le chevalier avec ce que j’ai dit, moi ? Tout saisi, tout dégradé, tout en friche, voilà mon tableau. C’est de cette peinture que j’ai déduit l’impossibilité de payer la marquise… et vous voyez que le chevalier va gâter tout. Parez à tout cela, au nom de Dieu ! Marquez tout à ce chevalier, et prenez bien garde surtout qu’il n’emprunte un écu là-bas, parce que, très assurément, je ne le passerais pas en compte.

M. le chevalier vient de faire là un voyage que je ne lui pardonnerai de ma vie. Je ne lui laisserai pas ignorer à quel point j’en suis piqué, et vous me ferez plaisir de lui en dire un mot. Je vous demande le journal le plus exact et le plus circonstancié de son séjour et de sa conduite là-bas ; ne me cachez rien. Dans une telle circonstance, je ne puis rien vous conseiller ; votre amitié pour moi doit tout vous dicter et votre probité doit vous convaincre qu’il n’est pas juste qu’un fils hérite avant son père, mille fois plus indigne encore qu’il aille escroquer une succession à son père. M. le chevalier peut être sûr qu’il n’aura de ses jours signe de vie de moi, maintenant. Je n’aime ni les escrocs ni les espions ; jamais son frère n’aurait été capable d’une telle infamie !……

Ne vous endormez pas sur de telles manœuvres, cher avocat, je vous conjure, et ne perdez pas une minute pour en émousser les effets.


Le marquis pense que le chevalier a été conseillé par les parents de sa femme et déplore l’erreur commise par le feu comte lorsqu’il lui a fait épouser cette fille de maltôtiers. (15 février 1792).