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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


(ce patois est-il bon ou non, je n’en sais rien), mais, après avoir bien pesté, bien juré, lisez les fatales lignes que je vais vous tracer.

J’ai touché la lettre de crédit, et je la garde sans la passer en aucune déduction sur les deux prochains quartiers, et cela par les raisons que je vais vous détailler ci-dessous… Une pause, avocat, car le coup est violent, et franchement il faudrait quelques gouttes d’éther pour faire avaler cela ! Écoutez-moi maintenant.

Vous imaginez bien que, sorti de la Bastille[1] le trois avril 1790 avec, pour tout mobilier et tout vêtement, trois mauvais matelas et une redingote de ratine brune, point de culotte, il était difficile que vingt et un mois après je me trouvasse, comme je suis, ayant huit paires d’habits complets tous neufs, d’assez bon linge, une maison petite, mais charmante, assez jolie pour qu’on l’admire… à Paris où les yeux sont blasés sur le luxe, trois ou quatre bonnes maisons où je peux aller dîner et souper quand bon me semble, mes entrées à tous les spectacles, et une sorte de considération littéraire, une compagne honnête et pleine de soins pour moi et d’assez bon vin dans ma cave ; vous sentez bien, dis-je, cher avocat, qu’il était impossible que je passasse de la situation où j’étais il y a vingt et un mois à celle où je suis maintenant sans beaucoup de frais, de soins, de travaux, de fatigues et de courage. Or tout cela entraîne quelques dettes ; il y a des moments où, sans vous en rien dire, ces dettes se montaient à neuf mille francs. Je comptais sur madame de Sade, elle me devait bien légalement dix mille francs de la succession de ma mère. Avais-je tort de m’enfiler jusqu’à neuf, sachant qu’on me devait dix ? Cependant mon espoir s’est vu trompé ; on a eu beau plaider, crier, tempêter, la chère marquise s’en est tirée avec quatre mille huit cents francs et il est resté quatre mille et tant de dettes à son cher époux, portant absolument à faux. J’ai quelque espoir, mais rien ne va maintenant. Si les imprimeurs vous achètent vos ouvrages, c’est avec des billets à termes très éloignés ; et cependant il faut payer……


Reinaud annonce à Gaufridy la fin du procès de M. de Sade et de sa femme. (2 février 1792).

Voici de l’essentiel, mon cher Gaufridy.

Madame de Montreuil vient de m’annoncer que toutes les affaires entre M. de Sade et sa femme sont finies, par des jugements suivis d’une transaction bien cimentée. Le compte de gestion de madame de Sade est rendu et admis ; ce qui l’a facilité, c’est un tapissier qui est venu se jeter pour ainsi dire au milieu, à raison d’une fourniture faite au marquis, voulant être payé de gré ou de force……

  1. De Charenton.