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MARQUIS DE SADE — 1792
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neur de la Bastille au ministre, et en y lisant ces mots : « Si M. de Sade n’est pas enlevé cette nuit de la Bastille, je ne réponds pas de la place au roi », vous verrez, monsieur, si c’est là l’homme qu’il faut molester. Ai-je émigré, moi, monsieur ? N’ai-je pas même toujours abhorré jusqu’à l’idée d’une pareille démarche ? Ne suis-je pas citoyen actif dans ma section ? Ne payé-je pas mes gardes, mes contributions ? M’y voit-on porter d’autres titres que celui d’homme de lettres ? Écrivez dans mon district et vous verrez ce qu’on y pense de moi… Mais mes créneaux vous déplaisent ! Eh bien ! messieurs, tranquillisez-vous ! C’est à la société entière que je m’adresse ici ; je ne vous demande que la gloire de vous les sacrifier moi-même au premier voyage que je ferai dans votre département ; la constitution d’une main, le marteau de l’autre, je veux que nous fassions une fête civique de cette démolition. Pacifions en attendant, messieurs, et respectons les propriétés. C’est de la constitution même que je transcris ces paroles ; vous les vénérerez comme moi, j’en suis sûr, et vous vous souviendrez, ainsi que je l’écrivais hier à MM. vos municipaux, que Brutus et ses partisans n’avaient ni maçons ni incendiaires à leur suite quand ils rendirent à Rome cette liberté précieuse que lui ravissaient des tyrans.

Je suis avec la plus cordiale fraternité, monsieur le président, et messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

Louis Sade.

Ce 19 avril 1792, rue Neuve-des-Mathurins, chaussée de Mirabeau, no 20, à Paris.


Le marquis estime que tous les Provençaux sont devenus fous. (28 avril).

……M. Lions m’écrit d’Arles. L’extrait de sa lettre est d’abord la peinture des maux qu’il a soufferts. Aucun détail sur le mas de Cabanes ; il les promet ; il ajoute qu’il a eu chez lui un homme à discrétion et que la municipalité m’a condamné à payer mille francs pour le renvoi des marseillais. Je lui ai répondu de m’envoyer la quittance de ces mille francs pour qu’elle me serve au moins en déduction des impositions qu’on me demande ici, ou qu’elle vous en serve à vous pour également payer moins. Je crains que ma lettre ne lui plaise pas, parce que j’ai l’air de le croire un peu exagérateur, et que dans le fait sa lettre, qui annonce, tant par le style que par l’orthographe et l’oubli des mots, une tête totalement troublée, n’annonce qu’un exagérateur ou un fol……

Ripert tout effrayé m’écrit aussi, sans signer, et d’une main inconnue. Le diable m’emporte si vous n’êtes pas tous devenus fous en Provence ! Pour vous, s’il vous prend un second accès, avocat, ne venez vous guérir qu’à Paris, rue des Mathurins, no 20, je vous en supplie. Je vous réponds de vous rétablir là en huit jours. Six doses de Palais-Royal vous mettront sur le champ à la raison, j’en réponds. Accourez donc, je vous en conjure. Je vous avoue que j’aurais un plaisir bien vif à vous embrasser. Je sens