ne cesse de monter de pied en cap. Il y avait alors des cheminements
plus rigoureusement tracés vers la fortune, beaucoup plus de degrés à
franchir, mais beaucoup moins de cloisons étanches qu’on n’en voit
aujourd’hui entre les diverses catégories de citoyens. La plupart des
Français n’étaient pas liés les uns aux autres par des contrats individuels
de travail, mais exploitaient eux-mêmes ou dans une étroite intimité
avec leurs compagnons un fonds, si modeste fût-il, qui leur appartenait
en propre ou auquel ils pouvaient prétendre par succession : un champ,
un atelier, une boutique, un office, un bureau, une ferme. La force vive
de cette société réside dans sa stabilité, dans son attachement au sol ou
à l’établi ; chaque foyer est lié à une tradition locale ; toute chose se fait
et s’accroît par un labeur personnel. Si lourd que soit l’impôt, si longue
que soit la journée de travail, si frugal que soit le régime, il existe une
marge de libération entre l’effort qu’on accomplit et la charge qu’on
supporte. L’existence s’écoule sur un rythme plus lent, l’avenir est
envisagé avec des pensées plus sages, et le groupement des familles
autour du clocher permet à chaque génération d’ajouter le fruit de son
travail à celui des générations précédentes. Les registres paroissiaux et
les minutes des notaires montrent, dans la plupart des anciennes communautés
de la Haute-Provence, la lente, mais permanente ascension du
« cap d’hostal ». Elle ne s’arrêtait d’ailleurs pas aux limites du tiers
car il existe des coseigneuries dont ces parvenus de l’épargne finissent,
un jour ou l’autre, par acheter une part et qui fabriquent des nobles.
Au vrai la vieille société française est soumise à des canons dont la
rigueur n’exclut pas la souplesse, et elle tire surtout sa force de ce
qu’étant terrienne dans son principe elle est resté rurale dans son économie.
Un village de l’ancienne France ne ressemble pas à ce que sont
devenues beaucoup de nos localités actuelles. Il y a place pour tous.
Une partie de ceux qui ne possèdent point de terres, ou qui répugnent
à les travailler, s’emploie au château et chez les bourgeois, et cette
domesticité, d’ailleurs fort différente de la valetaille des grandes villes,
comprend toute une hiérarchie où les plus humbles vivent avec les
maîtres dans une certaine intimité, apprennent leur langage et joignent
souvent à leurs façons l’urbanité libre et cordiale du peuple. L’autre
exerce des métiers qui ont à peu près disparu des petites agglomérations.
On verra ce qu’était le village de la Coste. Là où il ne reste plus que
quelques maisons accrochées à une ruine et une centaine de carriers
communistes employés dans les entreprises du voisinage, il y avait alors
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