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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/40

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— XXVI —


un bourg populeux avec ses notables, ses bourgeois de vieille souche, ses officiers de justice : juge, lieutenant, procureur juridictionnel, viguier, greffier, sergent et notaires, ses confréries, un hôpital et un bureau de bienfaisance avec leurs régents, les gardes du seigneur, ses receveurs de taxes et ses faciendaires. Toute bourgade possède le corps complet des artisans et des ouvriers : des drapiers drapant, tisseurs à toile, chapeliers, cordiers, cardeurs, tonneliers, charrons, forgerons. C’est l’antique organisation aryenne, celle qui ne contraint à forpayser que quelques cadets aventureux qui, d’ailleurs, ne quittent pas le foyer du chef de famille sans en emporter les fortes disciplines.

Mais le trait le plus marqué de cette société, dans son dernier état, c’est la multiplication des gens de plume. Un peuple de scribes est sorti de la masse terrienne : le fils de paysan qui n’a point eu sa part dans l’héritage ou qui l’a vendue, le clerc qui s’est dérobé à la tonsure, le maître d’école portant sa plume au bonnet, le notaire, le procureur, l’écrivain public, l’ancien régisseur qui a ouvert son cabinet à la clientèle, les uns tout à fait sédentaires, les autres accomplissant un itinéraire saisonnier, sont devenus les conseillers du vilain comme du seigneur lui-même, car il est aussi ignorant que quiconque de ses droits. La besogne que le roi a commencée pour son propre compte avec le concours des légistes, et que les parlements ont formalisée à leur tour pour créer un pouvoir dissident, a été reprise de troisième main par les membres du tiers au profit des non privilégiés. Une sorte de rite vital, complexe, formel, hermétique, est issu de la confusion des lois et des coutumes. L’ancienne France a réellement vécu sous le signe, d’ailleurs spirituel, de la chicane. C’est l’éternel ajustement de la glose et du formulaire, de la casuistique et de la procédure, qui marque le déclin de toutes les hautes civilisations. Chaque chose est désormais en conteste entre les corps et les individus, déjà à demi libérés de la forte tutelle royale et qui cherchent à s’accroître. Le châtelain plaide avec la communauté et avec ses propres vassaux ; on discute ses droits dont il ne possède souvent plus que la charte, et le vilain ou l’usurier ne lui font pas grâce d’un patard sur les sommes qu’il leur a empruntées. Loin de soutenir son autorité, le presbytère est le plus souvent l’ennemi du château, car le malheur commun ne les a pas encore réconciliés et leur fiscalité rivale les divise. Une multitude de collèges et de groupements réguliers travaillent, sans s’en douter, à substituer la notion des droits collectifs à celle du pouvoir personnel. On discute la feuille d’impôts, le sens et