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MARQUIS DE SADE — AN II.
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Le marquis représente aux membres du comité révolutionnaire d’Apt qu’ils se sont un peu trop pressés de saisir ses effets.

Citoyens,

Vous me pardonnerez si je vous représente que je crois que vous vous êtes peut-être un peu trop pressés de mettre le scellé sur des objets m’appartenant chez le citoyen Gaufridy. Rien n’est encore en mouvement sur cet objet dans ces cantons-ci, attendu que la Convention a renvoyé tout ce qui regarde ce projet de séquestre des biens des parents des émigrés aux comités de législation et de salut public pour lui présenter la rédaction du dit décret et le mode d’exécution. Or, ces comités n’ont encore rien dit. Rien absolument n’est fait sur cet article ; il est donc évident, citoyens, que vous avez été trop vite.

Je prouvais d’ailleurs dans le mémoire qui est tombé dans vos mains qu’il était, aussi moralement que physiquement, impossible qu’étant détenu par ordre du ci-devant tyran de la France quand mes enfants ont émigré, qu’il était impossible, dis-je, impossible que j’eusse favorisé ce crime et j’annonçais, dans le même mémoire, les preuves les plus victorieuses du train que j’avais fait quand je l’avais su. Comment se peut-il donc, citoyens, que ce soit précisément ce qui devait me blanchir à vos yeux qui m’y fasse traiter comme coupable ? Il m’est impossible d’arranger cela avec le caractère d’équité dont je sais que votre comité fait profession. Je vous supplie de revenir d’un acte de promptitude qui pourrait me faire tort, et vous en seriez d’autant plus fâchés que vous êtes, je crois, bien convaincus que je ne suis pas coupable et qu’il était impossible que je le fusse. Personne ne respecte la loi comme moi ; exigeât-elle mon sang, je m’ouvrirais moi-même les veines pour le lui offrir, mais une loi quelconque n’a d’action que quand elle est promulguée et celle dont il s’agit ne l’est pas. Je vous prie donc d’attendre la publicité de cette loi pour agir et, lorsque cette publicité rendra ma défense nécessaire, vous verrez en quels termes elle sera faite. Jusque-là je vous demande instamment de suspendre et de me croire fraternellement, citoyens, votre concitoyen. Sade.

Ce 12 pluviôse, l’an 2 de la république.


Le marquis parle pour les oreilles qui sont derrière la porte. « Ce 22 germinal ». (11 avril 1794).

……Je suis vraiment peiné de votre situation, et d’autant plus que, connaissant votre façon de penser, vous ne la méritez certainement pas. Je me rappelle du temps où vous et moi, au coin du feu ou dans nos allées de la Coste, nous désirions, nous prédisions l’heureux changement de gouvernement que nous ont enfin donné nos représentants. Devons-nous donc souffrir sous un ordre de choses tant désiré, tant prédit par nous ? Mais, patience, cher ami ! Nous dépendons de gens trop justes pour qu’ils ne nous