Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/439

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MARQUIS DE SADE — AN III.
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car je crois vous avoir mandé que je suis pour tout l’été à la campagne, hors du bruit, du trouble et du théâtre révolutionnaire dont la moitié des gens qui y montent ne descendent que pour aller grimper sur celui de M. Guillotin, où je n’ai pas encore envie de me faire voir……

Je suis bien aise que vous vous soyez bien rempli de la chose à dire concernant les Vogel (vous retiendrez que les Vogel sont les deux personnes en question qui me sont chères, et, quand vous en parlerez, vous ne vous servirez que de ce nom)……

Vogel l’aîné n’ayant jamais habité la Provence ne croit pas avoir besoin d’un certificat de ce département. Il n’a eu besoin que d’un certificat de non émigration pris au département où il est né et où il habitait, et ce certificat, il l’a eu ; et comment ne l’aurait-il pas eu puisqu’il n’est très certainement sur aucune liste d’émigrés ?……


Le marquis souffre de la vie chère, mais s’entend assez bien à faire travailler son argent, en attendant d’aller se retirer à Saumane. (18 thermidor).

……Tout ce que vous me mandez sur votre santé m’afflige bien sincèrement, mais ne m’étonne point. C’est une dette qu’il nous faut tous payer aux troubles, aux chagrins dans lesquels on nous a si longtemps fait vivre. Dieu veuille que tout cela ne recommence pas, ainsi que l’on nous en menace, et qu’un gouvernement militaire dont on nous effraie ne remplace sous un plus beau nom toutes les horreurs du règne révolutionnaire. Voilà la constitution, voilà la paix et cependant on nous fait craindre ici que nous ne soyons pas encore aux portes du bonheur. Dieu sait quand nous en jouirons[1]…… Toutes les denrées de six francs sont aujourd’hui de soixante, et il nous arrive ici tous les jours que, quand nous donnons quinze francs à l’homme qui vient de nous faire une commission jadis bien payée quinze sols, le malotru vous les jette au nez. Beaucoup de denrées ont encore infiniment dépassé cette proportion ; les confitures, l’huile et les bougies que je vous demande, par exemple, sont, en raison des accaparements qui en ont été faits, dans une proportion de trente à un. Il n’y a guère que le vin qui n’ait fait que tripler ; les choses de luxe sont sans exemple : un chien, six cents francs ; un cheval, trente, quarante et même cinquante mille francs ; la course d’un fiacre, de vingt-cinq sols a passé à cent francs ; un habit de drap, mille écus. La vie la plus sobre en un mot, celle que je mène, pot-au-feu de section, pain de section, légumes cinq jours la semaine, pas un spectacle, pas une fantaisie, mon amie, une cuisinière et moi, eh bien ! soixante francs par jour y blanchissent !……

Assurément, je vous loue fort d’avoir refusé le remboursement des

  1. La constitution de l’an III est toujours en discussion au moment où le marquis écrit. Le décret des Deux-Tiers va provoquer l’émeute du treize vendémiaire.