finissent par ne rien résoudre pour avoir voulu tout prévoir. Son activité
est inlassable ; tout l’attire ou la sollicite à la fois ; elle répète, dans
chacune de ses lettres, les mille choses qu’elle a en tête, et une foule
d’autres attendent de s’imposer à son attention. Sans les fuites de la
mémoire ou les solutions qu’apporte le temps, elle succomberait à la
tâche, mais ses préoccupations finissent par tomber d’elles-mêmes comme
des sangsues gorgées. Madame de Sade est, comme sa mère, assez peu
sensible aux maux du prochain, et, dans la hâte qu’elle apporte à tout
résoudre, elle bourre les gens, mais elle est bonne pour ceux qui l’approchent
ou qui lui appartiennent lorsqu’elle a le loisir d’y songer. Elle
est fort prompte à juger ses semblables d’un mot qui peint au naturel,
avec une propriété parfaite, ce qu’elle a saisi en courant de leur humeur
ou de leurs ridicules. Ses lettres sont coupées de phrases vives et colorées
qui tombent comme des roulements de caisse après une proclamation.
On pourrait la croire égoïste, mais elle s’oublie elle-même pour suivre
son idée, et c’est par pure précipitation et non par calcul qu’elle se
montre parfois exigeante ou même méchante. D’ailleurs elle est très
attachée à ses droits de maîtresse de maison ou à ses prérogatives de
châtelaine et, tout en arrangeant les choses à sa fantaisie, elle affirme
son dû avec la tranquille assurance des riches. Il n’y a pas chez elle
ombre d’hypocrisie, mais elle devient fausse, comme la plupart des
femmes, quand un grand embarras la presse, et nous en verrons un
exemple dans la façon dont elle en a usé avec Nanon. Au naturel, elle
a de la noblesse avec le sentiment très vif des obligations d’une dame
de bon lieu, et c’est, le plus souvent, la droiture même. Tout cela est
contradictoire et cependant vrai : l’instinct parle chez elle avec plus ou
moins d’autorité et selon l’urgence, mais l’honnêteté est son attitude
de repos.
La marquise n’est pas avare, malgré une grande application à exiger des comptes. Elle est même prodigue, surtout pour son mari, et ne résiste guère à la tentation de mettre la main au sac. C’est, avec cela, le désordre même. Elle n’a point d’autorité sur les gens de sa maison ; on la vole et on la joue, bien qu’elle abonde en remontrances avec de soudaines lésineries sur le bois à brûler ou la menuaille. Du reste elle ne vit que pour le marquis et dans la seule société de ses domestiques. Elle ne connaît guère le monde que par les démarches que l’intérêt du prisonnier la pousse à y faire et, dans ce cas, elle trotte de porte en porte sans aucun souci de lasser les gens qu’elle sollicite. On la croit folle ;