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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


Le marquis, dépourvu d’argent, mène la vie d’un pique-assiette. (19 frimaire, an VII).

……Vous sentez, mon cher avocat, que cette inscription sur la liste et le dénuement d’argent où elle m’a laissé, m’ont fait encourir bien [des] tourments et bien des peines depuis six mois. En voilà à peu près quatre qu’éloigné de Saint-Ouen j’erre de droite et de gauche chez ceux qui veulent bien me donner à dîner et un lit. Vous comprenez que cet état ne peut durer. Je vous demande instamment de le faire cesser en me faisant passer quelques fonds. De tous les maux que j’ai soufferts, un des plus cruels sans doute est une maladie terrible sur les yeux qui, comme vous le voyez, me prive du plaisir de vous écrire moi-même. Je vous demande, en raison de cela, d’avoir la complaisance de tracer votre réponse dans les plus gros caractères possibles……

Je n’y vois clair que pour vous embrasser de tout mon cœur en vous suppliant de me rendre tous vos soins et votre amitié. Oubliez les fâcheuses circonstances capables d’avoir pu faire naître l’humeur qui put m’aliéner un moment votre cœur. Sade[1].

Ce 18 frimaire.

Je me suis engagé pour six quintaux d’huile avec les différentes personnes qui m’ont rendu service dans cette affaire. Je vous prie de les préparer et de les envoyer le plus vite possible.


Le marquis vit dans un grenier à Versailles et parle de son fils en termes affreux. (5 pluviôse, an VII).

……Je vais encore vous peindre ma situation, si par hasard je ne l’ai pas encore fait, et j’ose me flatter que le tableau vous en effraiera. Notre ménage de Saint-Ouen est rompu depuis le dix de septembre v.s. À cette époque, je fus m’enfermer chez un de mes fermiers de Beauce, où je vécus quelque temps avec sa famille pendant que madame Quesnet cherchait un asile et une table chez ses amis. Elle y est encore. Pour moi, dès que mon fougueux créancier Paîra eût fait opposition sur mes deux petits biens de Beauce, le fermier de celui dans lequel j’étais me déclara honnêtement qu’il ne pouvait plus me nourrir. À peu près vers ce temps, madame Quesnet obtint la surveillance, mais nos moyens ne nous permettant pas encore de nous remettre à Saint-Ouen, je fus obligé de faire le malade et de prier ma municipalité de me laisser rétablir avant que d’aller jouir de ma surveillance, et, comme j’ai le bonheur d’y avoir des amis bien sûrs de moi, ils consentirent ; de ce moment, madame Quesnet continua de rester chez ses

  1. Ce paragraphe seul est de la main du marquis. Le reste de la lettre et le post-scriptum ont été écrits par Quesnet fils.