Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/50

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entrée à Sainte-Aure, mais elle vient de passer par une crise de malignité sous l’influence d’un commerce qui l’a arrachée, un instant, à son petit cercle domestique. C’est le temps de son amitié avec mademoiselle de Rousset.

Celle-ci est une provinciale fort dépourvue d’argent, mais nantie à sa suffisance des consolations de la philosophie. Sa famille est originaire du gros bourg de Saint-Saturnin-lès-Apt où règne sûrement une influence maligne, tant les natifs y ont l’humeur bizarre, l’esprit assez fin, mais brouillon, une originalité faite de bouffe, de perspicacité et de démesure, un tempérament bougillon, fantasque et colérique, un orgueil prodigieux. La chronique de Saint-Saturnin, dont le plus curieux épisode est celui du faux miracle de Rosette Tamisier, est un tissu d’inventions et d’aventures. Mademoiselle de Rousset ressemble aux gens de son pays, mais c’est, en plus, une fille lettrée et une fort méchante garce. Elle écrit admirablement, mais sa tête ressemble à une chambre noire où les images à l’envers attendent une feuille de papier pour se fixer et prendre pied. Elle a vraisemblablement connu le marquis pendant ses précédents séjours à la Coste, et elle y devient son hôtesse lorsqu’il s’y réfugie après son évasion de 1778. Elle s’éprend de cet aventurier qui partage sa marotte et qui lui parle de Paris où elle a vécu autrefois, précisément dans ce couvent de Sainte-Aure que la marquise choisira pour lieu de retraite. Rousset a d’ailleurs laissé dans cette maison une réputation de piété qui ne lui a sans doute rien coûté, pas même un peu de momeries, car l’accomplissement des rites religieux est alors une élégance de caste aussi naturelle que le baise-mains. Après l’arrestation de M. de Sade cette fille ferme les portes du château, met les clefs des appartements secrets dans sa poche et vient s’installer à Paris, chez la marquise. La voilà tout de suite en guerre avec la présidente, puis engagée dans un tendre commerce de lettres avec le marquis, tandis qu’elle épouse à domicile toutes les querelles de sa femme. Elle entreprend de diriger l’intrigue dans laquelle elle s’est jetée, sans souci d’en brouiller les fils. Elle invente, bavarde, s’agite, correspond avec Gaufridy et avec Gothon, forme mille projets, baille à chacun le lièvre par l’oreille, fait de petites traîtrises accompagnées de pétulance et d’une continuelle explosion de bonne humeur, conte ou écrit des gaillardises, ne s’accorde le temps de souffler un peu que pour s’admirer. Cependant elle s’est laissée prendre comme grive en vigne aux douceurs de la correspondance qu’elle échange avec le marquis. Mais c’est le prisonnier qui se lasse le premier de ce mari-