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Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/51

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— XXXVII —


vaudage sans issue. Il le dénonce vilainement à ses geôliers. Les fadeurs et les vers qu’il envoyait à Rousset font place à des insultes. La fille détrompée jure qu’elle le sauvera quand même et lui fera sentir ainsi le prix de l’amitié qu’il a rebutée, mais ce n’est plus qu’une attitude philosophique et elle ne se soutient pas. La demoiselle a désormais de fréquentes castilles avec la marquise qui s’est fort bien accommodée de son intimité avec M. de Sade, mais qui ne peut souffrir qu’elle ait changé d’avis sur le compte de celui-ci. Rousset se dégoûte de madame de Sade et de sa pétaudière de maison, et tombe aussitôt dans le travers ordinaire des filles de compagnie et des parents pauvres. Elle prend Gaufridy et Gothon pour confidents de ses médisances, en attendant que, rentrée à la Coste, elle accable l’avocat de méchancetés dans toutes les lettres qu’elle envoie à la marquise. Elle fait tort à son prochain avec une application jalouse ; elle est pleine d’aigreur et de venin, en même temps que de confiance en son génie et de considération pour elle-même. Ce n’est point un démon malgré sa fausseté et son orgueil, mais elle ne peut se tenir de médire ni de flatter, comme beaucoup de gens qui ont la rage d’écrire. Elle est insupportable à qui l’approche, mais, devant son papier, elle force par des caresses la bienveillance et l’attention de celui pour qui elle a pris la plume. Aussi a-t-elle vite fait de reconquérir la marquise et de prendre au château une importance dont elle abuse. Elle censure tout, brouille tout, sème la suspicion, met tout le monde contre elle, décourage jusqu’à la pitié qu’elle ne se soucie pas d’inspirer. Elle tousse et crache le sang, est en proie à de longs ténesmes, pâtit de « coliques d’estomach », et cependant ne tient pas en place, s’agite, s’échauffe, plaisante, écrit des gauloiseries, atteste la bonté de son cœur, reste pleine d’admiration pour son propre mérite, rehausse d’une plaisanterie son héroïque résistance au mal qui la ronge, profite sans vergogne des charités qu’on lui fait et de l’autorité qu’elle usurpe, évite toutefois de tomber dans les bassesses de la cupidité bourgeoise et finit, en une longue agonie, avec un courage admirable. Fille étrange et tête à l’évent, attirante malgré son maltalent et tous les travers de l’orgueil subalterne. Sa méchanceté et son amour-propre ne font qu’un ; elle est la première dupe de l’esprit qui n’est peut-être que dans sa plume, mais sa malignité n’est pas sans grâce comme sa fatuité n’est pas sans génie. Les impulsions auxquelles elle cède n’altèrent point la trempe d’un caractère qui commence à s’affirmer au moment où elle cesse de prendre la philosophie pour guide, et ses médisances elles-mêmes ne sont point systématiques.