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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


gement que le marquis a proposé à ses créanciers. Quesnet ne peut y croire et reste l’amie de l’avocat pour la vie.

La chaîne qui liait M. de Sade et son ami d’enfance est brisée.




Le marquis n’a pas à ménager son fils, mais il déménage ses meubles. « Ce 5 brumaire, an VIII. »

Ne mettez pas toujours en avant ma famille, mes enfants, comme ces gens-là disent que vous faites, parce que je n’ai point de famille, encore moins d’enfants, et que tous ces parents-là se sont trop mal conduits et se conduisent encore trop mal vis-à-vis de moi pour que je puisse avoir le moindre sentiment pour eux. Si vous saviez les indignités dont celui qu’on appelle mon fils se rend coupable envers moi, vous en frémiriez ; c’est un scélérat profond, bien connu pour tel, et qu’un député mit l’autre jour à la porte de chez lui pour les infâmies qu’il se permet envers son père. Je n’ai donc aucun ménagement à garder avec ce polisson et certes je n’ai pas envie de mourir de faim pour lui faire une meilleure part.

Voilà à présent que vous m’envoyez une malheureuse lettre de change à un mois de vue. Il faut que je meure de faim près de mon argent, ou que j’escompte à un tiers de perte. Je vous aime, mon cher avocat, oui, je vous aime, et cela depuis bien longtemps ; quelque chose qu’on me dise, jamais personne ne parviendra à me brouiller avec vous, mais, au nom de Dieu, changez de conduite envers moi et faites tout pour me procurer des fonds, parce que je meurs exactement de faim, que je suis tout nu, obligé d’avoir recours à des bassesses pour vivre… oui, à des bassesses ! Faut-il vous en avouer une ?… Frémissez… soyez désespéré de m’y avoir entraîné par vos lenteurs !… Eh bien ! mon ami… mon cher avocat… j’ai été réduit à aller démeubler et vendre la chambre et les effets de mon fils parce que je manquais de pain !… Je l’ai volé !… Cruel ami, voyez où vous m’avez conduit et, sur tout ce que vous avez de plus sacré, envoyez-moi des fonds, à tel prix que ce soit !


Le marquis, réduit à l’aumône, est entré à l’hôpital de Versailles. (13 nivôse).

……Me voilà, grâce à vos soins, monsieur, réduit aux derniers degrés du malheur, ne trouvant plus personne qui veuille venir à mon secours, abandonné de madame Quesnet, qui, après avoir tout vendu pour moi, est maintenant obligée de travailler pour vivre. Je suis trop heureux que la charité publique ait bien voulu me recueillir dans un hôpital ; il m’eut fallu mourir au coin d’une rue sans cela. Ne voulant rien faire pour moi, vous